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Les compromissions de la Suisse

Les compromissions de la Suisse
Les écrans au prisme du genre

L’intrigue de la mini-série de Petra Biondina Volpe, Le Prix de la paix1>Mini-série suisse de 6 épisodes, en accès libre sur Arte jusqu’au 30 avril 2021 (Frieden, 2020), développe les contradictions politiques auxquelles est confrontée en 1945 la Suisse, soi-disant neutre, à travers l’affrontement de deux frères – Egon, un fonctionnaire qui se heurte à la mauvaise volonté de ses supérieurs dans sa chasse aux nazis, et Johann, gendre d’un industriel du textile, qui après bien des hésitations décide de fermer les yeux sur l’origine des capitaux qui vont renflouer l’entreprise familiale. Enfin Klara, sa jeune épouse, figure d’ingénue un peu convenue, se conforme aux normes sociales en faisant du bénévolat dans une institution de la Croix-Rouge chargée d’accueillir des adolescents juifs rescapés de Buchenwald, et va se trouver confrontée à la xénophobie et à l’antisémitisme toujours aussi virulent après-guerre.

La qualité de cette mini-série tient d’abord à la précision du contexte social et politique qu’elle reconstruit. Contrairement aux pays voisins, la Suisse a échappé aux combats, ce qui en fait en 1945 un havre de paix pour les rescapé·es, réfugié·es et autres survivant·es du massacre. Le mariage de Johann et Klara est célébré sur un mode traditionnel et pittoresque, dans la chaleur verdoyante de l’été, jusqu’au premier grain de sable que constitue l’attaque dont est victime le père de la mariée, qui met fin aux festivités.

A partir de là, les grincements vont se multiplier et hypothéquer la belle harmonie familiale et la prospérité de l’entreprise textile. C’est la mère de Klara qui en était en fait l’héritière, mais son genre l’a exclue contre son gré de la direction des affaires, qui est revenue à son mari. Elle marque son autonomie par sa sympathie pour l’Allemagne nazie et la fréquentation des réfugiés allemands qui cachent, avec la complicité de son frère avocat, l’origine suspecte de leur fortune.

Parallèlement, Egon, le frère aîné, dont le comportement tourmenté est d’abord incompréhensible, se révèle avoir appliqué scrupuleusement en tant que fonctionnaire aux frontières, pendant les cinq ans de guerre, la politique de refoulement des réfugiés, en dépit des dangers qu’ils couraient. Il tente de se racheter en mettant toute son énergie au service de la chasse aux nazis, jusqu’à en indisposer sa hiérarchie qui finit par le licencier. Les deux frères finissent par s’affronter autour de cet enjeu central de l’après-guerre: faut-il débusquer les anciens nazis ou utiliser leurs ressources financières et technologiques pour assurer la prospérité de la Suisse? On se doute qu’il n’y aura pas de happy-end rassurant…

La qualité du Prix de la paix tient aussi à la performance des acteurs, dont la crédibilité est d’autant plus grande qu’ils sont inconnus du public français! Pourtant, comme dans la série française Un village français, qui racontait l’occupation allemande vue d’en bas, on peut regretter que les personnages féminins soient moins fouillés et moins crédibles que les personnages masculins: Klara nous est présentée comme une jeune mariée ingénue mais n’hésite pas à coucher avec un jeune réfugié de Buchenwald à la première sollicitation… Puis elle revient dans le giron conjugal avant de le quitter définitivement, quand Egon met au jour la collusion de son mari avec les nazis. Petra Volpe, également scénariste de cette mini-série, ne semble guère s’être préoccupée de donner de la cohérence à son personnage, et encore moins à celui de la mère de Klara, qui est la méchante de l’histoire: on la découvre chantant dans le salon de l’hôtel de luxe où sont réfugiés les anciens nazis, puis manifestant bruyamment sa compassion pour eux, en particulier en accueillant la famille de l’ingénieur chimiste qui va mettre ses compétences au profit de l’entreprise familiale. Enfin on la retrouve encourageant sa fille à s’émanciper des chaînes conjugales, comme elle-même n’a pas osé le faire dans sa jeunesse… ce qui est totalement contradictoire avec son comportement précédent. Cerise sur le gâteau, une figure de jeune femme américaine très «butch» vient corser la chasse aux nazis qu’entreprend Egon, sans qu’on comprenne à aucun moment ce choix de représentation.

Seuls les personnages masculins ont droit à la fois à la complexité et à la cohérence. C’est d’autant plus triste que le film précédemment écrit et réalisé par Petra Volpe, L’Ordre divin (Die göttliche Ordnung, 2017) est la chronique d’une subtilité remarquable d’une lutte féministe pour le droit de vote des femmes dans un village suisse en 1971…

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mercredi 27 novembre 2019

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