On nous écrit

La langue est historique et politique

Niels Rebetez avance des arguments qui plaident en faveur du langage inclusif.
Histoire 

Dans des lettres de lectrices parues les 23 et 24 mars dans Le Courrier, Elizabeth Dumont et Marzia Fiastri s’élèvent contre la décision de la rédaction d’introduire le langage inclusif dans ses articles «maison». J’aimerais revenir sur leurs arguments, car ils me semblent aveugles sur plusieurs points importants. D’abord, ils véhiculent une vision anhistorique et apolitique de la langue (française dans le cas qui nous intéresse). Cette vision méconnaît son évolution continue et masque les différentes vagues de masculinisation qu’elle a vécues. La plus importante a eu lieu au XVIIe siècle et a vu quelques grammairiens militer activement pour faire disparaître du langage et empêcher l’entrée dans le premier dictionnaire de l’Académie française des noms d’activités et de métiers dans leur forme féminine – comme «poétesse» par exemple (cela a été bien montré par l’historienne de la littérature Eliane Viennot). Au XVIIIe siècle, un grammairien résume ainsi la justification qui préside à cette démarche d’exclusion: «Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle.»

Le français n’a donc pas toujours été une langue où «le masculin l’emporte sur le féminin». Historique, cette évolution est explicitement motivée par une volonté de mise à l’écart et relève donc du politique. Elle fait écho à une infériorisation et à une exclusion plus larges des femmes dans la société française et vient la renforcer. Par ailleurs, dire que le masculin s’entend comme forme «générique», sans accent de genre particulier, oublie que la langue française ne connaît pas de genre neutre. Autrement dit, on pense au masculin ou au féminin, mais pas les deux en même temps, et quand on voit un mot ou une phrase au masculin, on pense – inconsciemment – au masculin (et vice-versa, voir à ce sujet les excellents travaux du psycholinguiste Pascal Gygax et de ses collègues).

Tout cela pour dire que ni la langue ni son usage ne sont neutres. C’est le cas aussi du langage inclusif. Il n’est pas neutre, au sens où il porte un projet politique: celui d’un langage moins androcentré et qui vise une plus grande égalité. La différence majeure entre aujourd’hui et le XVIIe siècle, c’est que la décision de modifier la langue n’est pas prise par une poignée de notables (hommes), mais discutée et débattue largement. Je m’en saisis donc pour dire à toute la rédaction du Courrier: merci pour cette initiative!

Niels Rebetez,
Fribourg

réponse de la rédaction

Depuis un mois, Le Courrier utilise le langage épicène. Pour un certain nombre de personnes, cette pratique constitue un bouleversement, et un désagrément: nous en sommes désolé·es. Pour d’autres, elle est déjà naturelle et était attendue. Cette réalité souligne à quel point la langue est le reflet d’une société en évolution constante – aujourd’hui plus sensible à la question des inégalités entre hommes et femmes – et un matériau vivant.
Des nouveaux usages, l’histoire de la langue en est truffée. Gageons que celui-ci nous semblera bientôt plus juste et plus précis que ne l’est aujourd’hui le masculin générique, ce faux neutre. Il y a des années que Le Courrier est attentif à faire entendre les voix moins audibles de la société. Le langage épicène s’inscrit dans cette logique, qui est aussi politique: ce qui n’est pas représenté existe beaucoup plus ­difficilement.
Le langage épicène crée-t-il des difficultés de lecture? Comment la langue s’est-elle transformée au fil des siècles? Epicène, peut-elle être belle? Nous aborderons toutes ces questions dans notre dossier du 30 avril, sans oublier les difficultés qu’a pu impliquer pour nous cette nouvelle aventure. A bientôt. donc!

La rédaction

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