Chroniques

Les sept Rois fédéraux

À livre ouvert

«Il est temps», écrit Urs Altermatt dans l’introduction de son nouveau livre, «de réfléchir de manière critique sur les mythes de l’histoire du Conseil fédéral et d’en débattre.»1>Urs Altermatt: Vom Unruheherd zur stabilen Republik. Der schweizerische Bundesrat 1848–1875. Teamplayer, Schattenkönige und Sesselkleber, NZZ Libro, Basel, 2020. Ca. 358 S., 30 Abb., gebunden. Fr. 39.– (UVP), ISBN 978-3-03810-478-0 En un peu moins de trois cents pages, l’historien soleurois livre un portrait dense et érudit des premières trois décennies de l’exécutif helvétique par ses élections – et offre ainsi, en complément du Bundesratslexikon2>Urs Altermatt (Hrsg.): Das Bundesratslexikon. NZZ Libro, Basel, 2019. 760 S., 516 Abb., gebunden. Fr. 98.– (UVP), ISBN 978-3-03810-218-2 mis à jour, une synthèse bienvenue pour celles et ceux que l’histoire politique intéresse. Cependant, le choix de partir des élections limite la profondeur de l’analyse: pour le spécialiste, elle est trop souvent superficielle, quand elle sera trop détaillée pour le grand public.

Urs Altermatt se pose, en somme, une seule question: comment se fait-il «que les décisions de l’année 1848 aient survécu à toutes les crises, catastrophes et guerres des 19e et 20e siècles», pour faire de la Suisse une exception «dans l’histoire continentale européenne»? Le thème a suscité de nombreuses études, tant le cas helvétique est remarquable: le destin de cette petite république libérale au cœur des monarchies européennes, arriérée, pauvre et provinciale, qui deviendra une petite république conservatrice, riche et politiquement fermée sur elle-même, interroge. Les historiens y ont répondu différemment avec le temps. A la grande époque de l’historiographie libérale, c’est au Parti libéral qu’anachroniquement (les partis apparaissent des décennies après la fondation de l’Etat fédéral) sont attribués tous les mérites – l’Etat fédéral c’est le Parti libéral, en prétendra le président Eugen Dietschi en 1959. Plus récemment, une historiographie critique a vu dans l’influence des milieux économiques l’un des éléments fondamentaux de la construction de l’Etat fédéral: un Etat bourgeois, volontairement atrophique pour ne servir que, ou presque, les intérêts d’une ambitieuse classe d’hommes d’affaires peu scrupuleuse. Urs Altermatt, historien du PDC/Le Centre, propose une autre lecture: c’est bien plutôt «au ‘libéralisme du milieu’ que les succès du jeune Etat fédéral sont à attribuer», affirme-t-il en conclusion.

Urs Altermatt, longtemps professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg, s’appuie sur le Bundesratslexikon dont il est l’éditeur et qu’il a, en 2019, mis à jour. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il propose des thèses plus ou moins novatrices, et plus ou moins provocantes: faut-il accepter l’idée que le Conseil fédéral constitue ce qu’il qualifie de «monarchie élective collective» – soit un cercle d’élus à vie qui se maintiennent au pouvoir par-delà les échecs en votation? Comme le sous-titre de Vom Unruheherd zur stabilen Republik l’indique, Urs Altermatt n’est pas particulièrement tendre avec les «sept sages» qu’il qualifie de «Teamplayer, Rois de l’ombre et Cramponnés-au-pouvoir». C’est ainsi avec malice que l’historien relève que, selon la rumeur, les conseillers fédéraux ne sont jamais choisis parmi les plus brillants parlementaires mais bien plutôt faits de «bois moyen»; et ce n’est pas sans sourire qu’il souligne que la perspective de vivre dans la triste et provinciale ville de Berne pèse lourd dans la balance des potentiels candidats zurichois, bâlois ou lausannois.

La lecture de Vom Unruheherd zur stabilen Republik est étonnamment agréable et intéressante – une histoire des élections au Conseil fédéral ne l’est pas a priori. Urs Altermatt sait naviguer entre les niveaux, alterner entre une plongée dans les arcanes de la Berne fédérale et des considérations biographiques détaillées, évoquer les enjeux politiques profonds derrière une candidature ou, au contraire, souligner les intérêts personnels d’ambitieux tribuns. On regrette cependant qu’il ne réussisse pas à inscrire son objet – les élections – plus directement dans le contexte socio-économique de l’époque: son analyse reste limitée au parlement fédéral et ne mentionne – par exemple – qu’en passant le rôle de l’homme de l’ombre, le tireur de ficelles, le magnat du rail et fondateur du Crédit Suisse Alfred Escher dont l’héritage est certainement le plus controversé de la période.

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lundi 8 janvier 2018

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