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Plusieurs objets en lien avec l’agriculture et l’alimentation seront soumis au corps électoral en 2021: le 7 mars, il votera sur l’accord de libre-échange avec l’Indonésie.1>A ce sujet, on me permettra, en forme d’antidote au curieux article paru dans Le Courrier du week-end dernier [Y. Genier, «L’huile de palme. Un problème marginal», 22 janvier 2021], de recommander la lecture de ma chronique du 30 janvier 2020, à lire ci-dessousCe seront ensuite deux initiatives très ambitieuses contre l’usage de pesticides de synthèse: «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse» et «Pour une eau ­potable propre et une alimentation saine».

L’Union suisse des paysans (USP) a commencé la semaine dernière sa campagne de communication contre ces deux initiatives, alors même que la date de la votation n’est pas encore fixée. Des visuels inspirés de la ligne graphique de l’Union démocratique du centre ont été diffusés dans la presse agricole2>Cf. AgriHebdo, 15 janvier 2021., accompagnés d’un appel aux dons pour soutenir financièrement la campagne. Les arguments phares de l’Union suisse des paysans contre les deux initiatives méritent que l’on s’y arrête.

Un premier visuel montre un homme portant un T-shirt à croix suisse sciant la branche sur laquelle il est assis en compagnie d’un meunier et d’un boulanger à la mine déconfite. Slogan: «Sacrifier des milliers d’emplois? Deux fois non.» Entre 1955 et 2005, le nombre de boulangeries est passé de 8553 à 2425 tandis que la population passait de 4,9 à 7,4 millions dans le même demi-siècle. Dans le même temps, la part des actifs agricoles dans la population générale passait de 19 à 2%. Si des emplois ont été sacrifiés, c’est donc bien par la mise en œuvre extrêmement rapide de l’agriculture industrielle. A cette mise en œuvre, l’Union suisse des paysans n’a jamais rien trouvé à redire. Dirigée par des propriétaires de grosses exploitations, l’organisation agricole s’est toujours arrangée pour que les plus gros et les plus riches tirent leur épingle du jeu de plus en plus pipé des subventions. Elle n’a jamais souligné les dégâts sociaux causés par sa politique d’arrangements avec l’industrie. Il y a donc bien à rire de la voir, aujourd’hui, faire semblant de s’inquiéter de pertes d’emplois, alors que favoriser l’emploi agricole et rural n’a jamais été au rang de ses priorités.

Sur le second visuel, c’est une femme à croix suisse qui scie la branche sur laquelle elle se trouve avec un paysan et une vache. «Sacrifier les produits locaux? Deux fois non», peut-on lire au-dessus de cette scène champêtre. Ici encore, un peu de recul historique permet d’apprécier l’hypocrisie de l’USP. Pendant la seconde moitié du XXe siècle où l’Union a joué un rôle d’accompagnatrice de l’industrialisation de l’agriculture, la biodiversité cultivée s’est effondrée pour laisser la place à des cultures facilement mécanisables (betterave à sucre, céréales, arboriculture intensive) et à des semences homogènes obtenues par l’industrie semencière. Durant la même période, l’USP a soutenu tous les accords de libre-échange conclus par la Suisse. Elle s’en vante même dans un récent communiqué de presse: «L’USP n’est pas opposée à des accords de libre-échange. Au contraire: elle veut une économie forte et a approuvé tous les accords conclus jusqu’à ce jour, y compris celui avec la Chine.» Cette semaine encore, l’Union suisse des paysans a affirmé son soutien à l’accord de libre-échange avec l’Indonésie3>Cf. communiqué de presse du 25 janvier 2021..

Or, ce sont bien ces accords de libre-échange qui mettent en danger l’approvisionnement local. C’est bien le libre-échange qui fait que les viticulteurs voient leurs vins mis en concurrence avec des produits importés à vil prix. Cette double politique de standardisation des produits agricoles et de mise en concurrence des agricultures au niveau mondial relativise, on le voit, fortement l’inquiétude soudaine de l’organisation professionnelle agricole pour l’approvisionnement local.

En fait, on l’a compris, les craintes que l’USP brandit dans le cadre de cette campagne de votation sont des arguments de circonstances. Comme en matière de libre-échange, l’organisation agricole prétend soutenir la paysannerie suisse, mais défend surtout les intérêts de l’agro-industrie, qu’il s’agisse des marchands de produits de traitement ou des grands distributeurs et transformateurs. Ce sont eux qui ont tout à craindre d’un abandon des pesticides de synthèse.

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Notre chroniqueur est observateur du monde agricole.

Opinions Chroniques Frédéric Deshusses

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mercredi 9 octobre 2019

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