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Renoncer au libre-échangisme

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Cet automne, après l’ado­ption par les Chambres fédérales de l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, le Parti socialiste suisse (PSS) publiait un communiqué triomphaliste intitulé «Pas d’accords commerciaux sans protection efficace des personnes et de l’environnement» (30 novembre 2019). Selon ce texte, le PSS aurait obtenu des concessions majeures sur le caractère durable de la production de l’huile de palme indonésienne. En fait, lesdites concessions ne consistent qu’en de vagues promesses du conseiller fédéral Guy Parmelin. Le ministre aurait promis de réglementer les méthodes de contrôle de la durabilité de l’huile. Les lots ne respectant pas les critères ne bénéficieraient pas de la réduction des tarifs douaniers prévue par l’accord.

Chacun-e flaire le ridicule d’une telle promesse et c’est pourquoi un référendum vient d’être lancé. Dans une note, l’organisation non gouvernementale GRAIN dénonçait «l’escroquerie des plantations de palmiers à huile verts». Selon GRAIN, un des principaux certificateurs de la «durabilité» des huiles de palme destinées à l’export est une organisation nommée RSPO (Table ronde sur l’huile de palme durable). Il s’agit d’un groupe composé d’industriels de l’huile de palme (producteurs, utilisateurs ou négociants), appuyés par quelques ONG alibis. La méthode de certification repose sur des normes établies par les membres, c’est-à-dire par les industriels eux-mêmes. Un coup d’œil à la liste des 81 membres suisses de RSPO laisse entrevoir les intérêts effectivement défendus. Pour la caution verte, on y trouve le WWF Suisse et le fabriquant de produits cosmétiques anthroposophe Weleda. Mais figurent surtout Coop et Migros, Crédit Suisse et Nestlé, ou encore le géant mondial de la boulangerie pâtisserie industrielle Arytza, basé à Zurich.

Et ce sont donc ces purs philanthropes qui décident des règles de certification qu’ils appliquent ensuite à leur propre commerce. Dans un entretien donné en 2014 au Mouvement mondial pour les forêts tropicales, le directeur d’un groupe œuvrant, en Indonésie, à l’appui des communautés touchées par les plantations industrielles de palmiers à huile déclarait qu’«on a le droit de dire que la RSPO a été incapable de s’attaquer aux nombreux effets négatifs des grandes plantations de palmiers à huile».

On ignore si les normes de la RSPO seront retenues pour identifier l’huile bénéficiant de la réduction des droits de douane, mais il y a tout lieu de penser que ce sera le cas. La RSPO certifie en effet un cinquième de la production mondiale et dispose d’une infrastructure qui permettra à l’administration des douanes de se dispenser d’effectuer des contrôles coûteux.

La question de savoir quelle certification sera utilisée reste finalement anecdotique. En effet, l’unique raison d’importer de l’huile de palme en Suisse est de disposer d’une matière grasse à très bon marché pour augmenter les marges de profit des industries agro-alimentaires et des cosmétiques. Par nature, il s’agit d’un commerce colonial et donc nuisible pour les populations des pays producteurs.

Le Parti socialiste ne devrait pas continuer à chercher à tempérer le libre-échange. Il n’est pas de taille à négocier de véritables concessions avec les représentants de l’industrie agro-alimentaire. Il est temps de s’opposer frontalement à la voracité des agro-industriels. L’agronome français Jean-Louis Rastoin souligne la nécessité de réorienter la politique agricole vers «la construction d’un système alimentaire alternatif, basé sur un modèle de proximité, avec une agriculture polyvalente connectée à des réseaux de PME/TPE agroalimentaires, maillé par des relations plus étroites entre producteurs et territoires et entre producteurs et consommateurs.»1>«Pourquoi et comment l’Europe doit donner une priorité forte à l’agroalimentaire», Economie rurale, juillet-août 2007. Le PSS devrait trouver là l’inspiration d’une politique économique véritablement socialiste, c’est-à-dire qui n’essaie pas de pressurer les travailleurs du Sud pour fourguer à vil prix une alimentation malsaine aux travailleurs du Nord et leur faire oublier ainsi la baisse tendancielle de leur pouvoir d’achat. Faute d’une nouvelle orientation de ce type, la vague verte risque bien de s’écraser sur l’écueil de la déroute libre-échangiste des socialistes.

Notes[+]

Notre chroniqueur est observateur du monde agricole.

Opinions Chroniques Frédéric Deshusses

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mercredi 9 octobre 2019

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