Édito

Dix ans de liberté contrainte

Dix ans de liberté contrainte
Il y a dix ans et quelques jours, portés par une énorme mobilisation, les Tunisiens chassaient l’autocrate Zine El-Abidine Ben Ali. KEYSTONE/ARCHIVES
Tunisie

La Tunisie avait ouvert la voie des printemps arabes. Il y a dix ans et quelques jours, portés par une énorme mobilisation, les Tunisiens chassaient l’autocrate Zine El-Abidine Ben Ali. Aujourd’hui, ce pays semble pourtant le seul à avoir conquis durablement les libertés civiles et politiques. Presque partout ailleurs au Maghreb et au Moyen-Orient, régimes autoritaires, dictatures ou guerres sévissent encore ou à nouveau.

Ces dix ans n’ont pourtant pas été de tout repos au pays du jasmin. L’euphorie a duré moins d’un an. On se souvient de la montée en puissance du parti islamiste Ennahdha, sa complaisance envers les salafistes, leurs attaques contre des artistes et des journalistes en 2012, le retour en politique de caciques de l’ancien régime, puis les assassinats des leaders de la gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013 (les enquêtes sur les commanditaires ont repris en 2019).

Si la flambée de l’intégrisme a pu être contenue, la Tunisie s’est enlisée dans l’instabilité politique – dix gouvernements se sont succédé depuis 2011 –, le maintien de la corruption, les inégalités territoriales et la stagnation économique. Pour beaucoup la révolution a été trahie. Loin de rompre avec la politique néolibérale initiée par Ben Ali, le nouveau pouvoir l’a approfondie. Les politiques d’austérité et les privatisations se sont succédées. Près de 35% des jeunes endurent le chômage aujourd’hui.

Quant au «grand ménage» prévu dans l’administration, les forces de sécurité et les législations, toutes héritées de l’ancien régime, on attend toujours, malgré la réécriture réussie de la Constitution en 2014.

Le peu d’empressement des autorités à poursuivre des membres du clan Ben Ali est tel que la Suisse va peut-être devoir rendre dès mardi aux proches de l’ancien despote décédé des dizaines de millions de dollars qu’elle avait confisqués en 2011. Cet argent devrait revenir à l’Etat tunisien, car il s’agit de biens mal acquis présumés. Mais la justice tunisienne n’a toujours pas rendu de jugements définitifs dans ces affaires. Or, en Suisse, le gel des avoirs ne peut excéder dix ans.

Aussi, la Tunisie n’en finit pas de sa «transition démocratique». Un processus fragile alors que l’on constate parfois un retour en force de la répression. En 2019, à Kasserine, Tataouine et Douar Hicher, un jeune sur cinq déclarait avoir été arrêté ou emprisonné.

La bonne nouvelle, c’est que nombre de citoyens ne craignent plus d’user des libertés chèrement acquises. En novembre encore, malgré la pandémie, les Tunisiens étaient dans la rue et n’hésitaient pas à bloquer des routes pour se faire entendre. Le long sit-in des puits pétroliers à El Kamour, débuté en 2017, a montré que la lutte paie. Si les mobilisations restent pour l’heure éclatées, sans horizon commun et sans relais politique effectif, rien n’indique qu’elles ne trouveront pas le chemin de l’unité.

Opinions International Édito Christophe Koessler Tunisie

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