Chroniques

L’importance de la famille dans les soins pédiatriques

À votre santé!

En tant que médecins, on nous demande de soigner des pathologies, de guérir des patients ou pour le moins de les soulager. C’est notre rôle premier. Pour cela, il faut poser un diagnostic puis proposer une attitude thérapeutique. Dans ce processus, l’adhésion du patient – et en pédiatrie, des parents aussi – est essentielle. Et j’ai l’habitude de dire que, même dans les cas de maladies infantiles aiguës, les traitements peuvent varier d’une famille à l’autre, sans pour autant renier l’analyse rationnelle que notre formation scientifique nous a apportée!

Dans le suivi de malades chroniques, garder un lien étroit avec la famille est essentiel, mais souvent mal estimé, d’autant que les professionnels peuvent être nombreux et pas toujours bien coordonnés. Je pense à deux situations rencontrées ces dernières années. La première concerne un enfant polyhandicapé de naissance. Pendant près de quinze ans, il a vécu dans une famille qui s’est complètement organisée autour de lui. Malgré son handicap, il était intégré aux activités familiales: le match de football à la télé, le temps des repas, les vacances et j’en passe. Et pourtant, il était totalement dépendant. Il trônait dans le salon! Heureusement, il pouvait aller dans un centre de jour durant la semaine, où des éducateurs et des soignants prenaient la relève. Il y avait aussi des infirmières de soins à domicile qui venaient – surtout quand il devint un peu grand – aider dans les soins. C’est dire qu’il bénéficiait d’un encadrement optimal et ce, depuis longtemps. Mais au fil du temps, le système s’est grippé: cet enfant, maintenu en vie «miraculeusement», faisait souvent des «crises d’étouffement» que sa mère calmait par un geste le soulageant, mais ne faisant partie d’aucun protocole infirmier et donc que les soignants refusaient d’exécuter, sans vraiment proposer d’alternative. Situation embarrassante, mal vécue par tous, et qui a fragilisé la prise en charge.

La deuxième histoire est celle d’un enfant chez qui la prise de poids et l’alimentation ont été un problème depuis la naissance, même si le diagnostic d’une maladie génétique affectant le foie a pu être posé à quelques mois de vie. Il a été alimenté par sonde longtemps, d’abord en continu puis en repas fractionnés. Ensuite il a eu de la peine à prendre des repas solides, même si à ce jour, à près de 4 ans, tout va mieux – il commence à manger avant tout le monde et finit après, en toute simplicité. Pendant tout ce temps, il a été vu en consultation médicale spécialisée, mais aussi par des nutritionnistes et d’autres professionnels de la «mécanique alimentaire»: souvent, leurs propositions, si elles étaient suivies à la lettre, exigeaient des temps de repas dépassant 8 heures sur 24 heures, y compris tard le soir, sans que jamais ils ne posent la question de la gestion familiale du temps… Comme l’enfant grandissait «mieux que prévu», on «se félicitait» sans trop essayer de comprendre comment «on y arrivait». Les parents, avec heureusement une famille élargie compétente et soutenante, ont inventé mille et une manières de faire qui n’ont jamais intéressé les professionnels; ce qui n’aide pas, encore à ce jour, dans le lien. Ainsi, les rendez-vous réguliers sont vécus non comme des moments de rencontre privilégiés pour «mettre les pendules à l’heure», mais plutôt comme des passages obligés. Encore une fois, je ne veux pas insinuer que le suivi médical et biologique est négligé: tout est fait «dans les règles de l’art».

Il me semble que ces exemples doivent nous rappeler quelques vérités. D’abord, nous, soignants, même en faisant notre travail avec bienveillance, oublions trop régulièrement l’empathie, définie comme la faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent et, partant, d’imaginer comment s’organise la vie sociale autour d’un enfant malade chronique et ce que nos «recommandations» peuvent avoir comme incidence sur la vie pratique. C’est aussi s’intéresser à nos patients comme un tout, donc écouter les préoccupations des familles et tâcher d’y répondre avec bon sens. Ensuite, il est important de valoriser l’enfant et son entourage et d’admettre que l’on peut apprendre d’eux plutôt que de s’enfermer dans des protocoles de soins parfois inadaptés à une situation précise. Les parents ne sont-ils pas ceux qui connaissent le mieux leurs enfants, et notre rôle n’est-il pas de les accompagner avec notre bagage de soignants, et parfois de les aider à prendre «de la distance», sans jugement?

Notre chroniqueur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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