Suisse

Morts en silence par milliers

Plus de 5500 personnes emportées par le Covid-19: la Suisse déplore une mortalité élevée au regard de sa population. Pourtant, une certaine indifférence semble régner. Le discours des autorités serait une raison.
Morts en silence par milliers
«La mort des personnes très âgées est en Suisse assez invisible socialement, comparé à d’autres pays», relève François Höpflinger, sociologue et membre de la direction du Centre de gérontologie de l’Université de Zurich. KEYSTONE/IMAGE D'ILLUSTRATION
Pandémie

C’est devenu un rituel, bien huilé, automatisé: du lundi au vendredi, l’Office fédéral de la santé publique aligne les chiffres sur son boulier épidémique. Il passe en revue les infections au Covid-19 des dernières 24 heures, les nouvelles hospitalisations, les nouveaux décès, les personnes en isolement et celles en quarantaine. On enregistre. On passe à autre chose. Ou on se lance dans un débat politico-économique sur la stratégie anti-coronavirus. Dans la jungle des discussions, un aspect semble cependant n’intéresser que peu de monde: les très nombreuses morts dues à la maladie des voies respiratoires Covid-19.

Avec plus de 5500 décès, la Suisse présente une mortalité élevée au regard de sa population: autour de 60 morts pour 100’000 habitants depuis le début de l’épidémie en février – 5589 en tout en comptant le Liechtenstein. Elle dépasse, parfois largement, ses voisins allemands (environ 22 pour 100’000) et autrichiens (environ 45 pour 100’000), d’après leurs statistiques de la semaine passée. Des démocraties ressemblantes comme le Danemark ou la Finlande déplorent beaucoup moins de décès proportionnellement.

La Suisse connaît une surmortalité incontestable: il y a nettement plus de morts cette année que les autres. Malgré tout, une impression d’indifférence se dégage. Pourquoi? Explications.

1. Pourquoi cette indifférence apparente?

La «perte des vies humaines» demeure peu présente dans le discours public. «Le climat normatif, ce qui se dit autour de nous, a une grande influence», constate Oriane Sarrasin, maître assistante au Laboratoire de psychologie sociale de l’Université de Lausanne. «Or le message général et dominant appelle à un compromis pour que l’économie continue de tourner. Cela donne l’impression que la mortalité est un fait parmi d’autres.»

Pas de confinement prévu avant Noël

Le Département fédéral de l’intérieur propose de ne pas durcir les mesures avant le 28 décembre. Après cette date, trois scénarios sont envisagés. C’est ce que confirment les documents en consultation rendus publics par Tamedia lundi soir.

Des mesures plus strictes seraient discutées vendredi uniquement si le taux de reproduction du virus «augmentait rapidement et fortement», montrent les documents. Il faudrait par exemple que ce taux passe de 1,13 (valeur du 4 décembre) à 1,2.

Dès le 28 décembre, trois scénarios sont envisagés. Si le taux de reproduction est supérieur à 1 depuis trois jours ou si l’occupation des lits en soins intensifs dépasse 80%, les établissements de restauration seront fermés. Des exceptions seraient encore possible pour les services à l’emporter, les services de livraison ainsi que la clientèle des hôtels.

Second scénario: le taux de reproduction dépasse 1,1 ou 85% des lits en soins intensifs sont occupés. Dans ce cas, en plus des autres mesures, les magasins et les marchés devraient fermer le week-end et leur fréquentation pendant la semaine serait réglementée.

Si le taux de reproduction est supérieur à 1,2 ou si les lits en soins intensifs sont occupés à plus de 90%, un confinement partiel serait appliqué. Les magasins devraient complètement fermer. ATS

Près de 95% des morts ont plus de 70 ans, et environ 75% plus de 80 ans. «La mort des personnes très âgées est en Suisse assez invisible socialement, comparé à d’autres pays», souligne François Höpflinger, sociologue et membre de la direction du Centre de gérontologie de l’Université de Zurich. Les personnes du quatrième âge vivent souvent isolées. «Elles souffrent aussi de comorbidités et une idée s’est imposée: coronavirus ou pas, elles seraient mortes de toute façon un jour ou l’autre.»

Les retraités ne seraient pas toujours bien considérés. «Une discrimination générationnelle existe depuis longtemps en Suisse, au contraire par exemple de la Finlande», avance Claudia Meier Magistretti, psychologue et professeure en promotion de la santé à la Haute Ecole des sciences appliquées de Lucerne. «Notre société ne valorise pas les gens qui ne semblent pas participer directement au profit monétaire. La plupart des décès Covid se produisent dans les EMS. Or on en parle très peu en Suisse, ce n’est pas comme en Suède.»

2. Sommes-nous une société déshumanisée?

Ce quasi-silence vis-à-vis des décès favorise l’hypothèse d’une société peu solidaire. Ce ne serait pas si simple. «Durant la première vague, la solidarité était très élevée, mais pas assez mise en évidence médiatiquement ou politiquement», déclare Claudia Meier Magistretti sur la base de travaux menés avec des confrères. Les médias «n’ont guère abordé la question de l’empathie. Le quatrième pouvoir n’a pas pesé dans cette discussion. C’est décevant».

Une clé du problème résiderait dans la communication publique. «Les victimes sont présentées comme des chiffres, des données statistiques. Or pour encourager le comportement empathique et pro-social, il faut les décrire comme une personne à part entière: un père, un grand-père, une sœur», illustre Olga Klimecki-Lenz, psychologue, neuroscientifique et professeure à l’Université de Genève, qui voit tout de même de l’empathie dans la démocratie directe suisse.

«Dans notre société, l’argent compte plus que la moralité. Si les jeunes et ceux qui travaillent ne sont pas touchés dans leur santé, beaucoup se sentent moins concernés», regrette François Höpflinger. Les victimes âgées vivent dans la solitude et plus personne ne les connaît. Elles deviennent «un chiffre statistique, rien de plus».

3. La Suisse use-t-elle de darwinisme social?

Certains politiciens, comme le ministre des Finances Ueli Maurer (udc), ont appelé sans détour à ne pas exagérer les mesures de prévention sanitaire. La population adhère-t-elle au fameux survival of the fittest (la survie du plus fort)? «Non, je dirais plutôt que la population est un peu dépassée, déstabilisée, pointe Claudia Meier Magistretti. Elle n’agit pas avec mépris ou méchanceté vis-à-vis des plus faibles. Certaines autorités politiques n’ont en revanche pas pris leurs responsabilités, dans les cantons notamment. Elles se sont comportées comme des organisations économiques.»

La valeur cardinale de responsabilité individuelle a été sans cesse mise en avant par les autorités. «Dans une épidémie, un dialogue intense s’ouvre entre gouvernants et citoyens», remarque Olga Klimecki-Lenz. «Si les gouvernements ne donnent que peu de signaux de prudence et de solidarité, l’impression prévaut qu’il n’y a pas grand problème à sortir et à avoir des activités.

Pour Oriane Sarrasin, «la conviction prédomine que le monde est juste. Notre stabilité et notre démocratie nous encouragent à le penser. Certains en déduisent que ceux qui meurent sont de toute façon déjà vieux et seraient morts de toute façon, comme dans une canicule, alors qu’il n’y a pas que des personnes âgées qui décèdent». LA LIBERTÉ

Serrer la vis

Face à la presse, Lukas Engelberger insiste: «Nous voulons moins de morts, moins de malades et moins de dégâts économiques, alors nous devons intensifier nos efforts pour lutter contre l’épidémie.» Pour le président bâlois de la Conférence des directeurs cantonaux de la Santé, les restrictions en vigueur depuis quelques jours ne suffisent pas. «Nous souhaitons des mesures fédérales plus énergiques», réclame-t-il.

Vendredi dernier, le gouvernement a décidé de fermer les restaurants, les commerces, les musées et les bibliothèques, ou encore les lieux de loisirs et de sport à 19 heures. Désormais, seule la restauration peut ouvrir le dimanche. Sous la pression des cantons romands, très remontés après avoir pris des mesures strictes durant le mois de novembre, le Conseil fédéral a concédé quelques exceptions. Dans les régions les moins touchées par l’épidémie, les bars et les restaurants peuvent ouvrir jusqu’à 23 heures au plus tard. Beaucoup avaient salué ce compromis.

Ce lundi, l’exécutif a rencontré les ministres cantonaux de la Santé et leur a soumis un projet de mécanisme pour décider de ces exceptions. Trois critères ont été définis. Pour bénéficier d’ouvertures plus généreuses, les cantons devront montrer pendant 7 jours une incidence des infections pour 100 000 habitants inférieure à la moyenne nationale, et un taux de reproduction du virus inférieur à un. Il faudra aussi garantir une capacité hospitalière suffisante et le traçage des gens contaminés, y compris entre les différents cantons.

Pour le ministre de la Santé Alain Berset, «plus que des critères et des automatismes, nous souhaitons des mesures adaptées à l’évolution de l’épidémie». Pourtant, la souplesse dont bénéficient actuellement les Romands dépendra beaucoup du fameux taux de reproduction du virus, qui calcule le nombre d’autres personnes infectées par un malade. Après trois jours au-dessus de la valeur un, qui correspond à la stagnation, les restrictions seront appliquées. La décision reviendra aux cantons, chargés de la mise en œuvre de ce mécanisme dynamique. Les chiffres sont mis à jour quotidiennement par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, et sont consultables sur le site de l’Office fédéral de la santé publique. Ils reflètent toutefois la situation avec deux semaines de retard. Selon les calculs les plus récents, Fribourg, Vaud et le Valais affichent tous un taux de reproduction du virus de 0,98. Tout indique que ces cantons franchiront le fameux seuil dans les prochains jours.

D’un ton ferme, Alain Berset prévient: «Les appels à la désobéissance ne freinent pas la pandémie. Au contraire, ils nous contraignent à des règles de plus en plus strictes pour éviter l’effondrement du système de santé.» A moins que l’urgence n’exige des nouvelles mesures plus tôt, le Conseil fédéral annoncera son verdict vendredi prochain. XAVIER LAMBIEL/LA LIBERTÉ


Tests massifs aux Grisons: 1% de cas positifs

Les tests de masse pour le coronavirus effectués de vendredi à dimanche dans le sud des Grisons ont révélé 1% de cas positifs. Au total, 15 151 personnes se sont portées volontaires pour se faire tester. C’est la première fois en Suisse que des tests de masse sont réalisés. Le projet pilote grison s’est déroulé dans 19 communes de Haute-Engadine (Bernina), de Basse-Engadine et du Val Müstair ainsi que des vallées italophones de Poschiavo et de Bregaglia (Maloja).

Le taux de positivité de 1% correspond aux prévisions, a indiqué ce lundi le gouvernement du canton. Ce taux varie d’une région à l’autre: 2,2% pour Bernina, 0,68% pour la Basse-Engadine et le Val Müstair et 0,82% pour Maloja. Au total, 150 personnes asymptomatiques ont pu être repérées et mises en isolement.

Les chiffres montrent que les personnes qui sont porteuses du virus et ne présentant aucun symptôme contribuent «de manière significative à la propagation et au maintien de la pandémie», souligne l’exécutif. Il est donc «fondamental» de diminuer les contacts et respecter les mesures de distance et d’hygiène.

Les tests de masse dans le sud des Grisons donnent «un instantané significatif» de la situation. Des tests de suivi seront effectués dans certaines régions, notamment le Val Poschiavo où le nombre de cas d’infections est nettement supérieur à la moyenne, a indiqué Marina Jamnicki, médecin cantonal. Les tests réalisés sur 23 sites se sont déroulés sans problème. Dans certains cas toutefois, le résultat du test a pris un peu de retard. Plus de 1000 personnes ont été mobilisées pour cette opération, qui a coûté 5 millions de francs: 60 médecins, 354 employés du secteur de la santé, 444 personnes de l’administration et 177 personnes pour assurer la sécurité. ATS

Les partis politiques présentent des sensibilités variables à la question des décès

mardi 15 décembre 2020 Philippe Boeglin
Suisse Philippe Boeglin Pandémie Coronavirus Covid-19

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