Liban: l’entraide en temps de crise
Je vous écris depuis Baalbek, dans la plaine de la Bekaa au nord-est du Liban. C’est l’hiver depuis une semaine1>Début novembre 2020.. Il fait froid et les réfugiés syriens sont gelés sous leurs tentes faites de rouleaux de plastique, lestées de pneus usés sur le toit pour que rien ne s’envole au premier coup de vent. Les enfants jouent dans la boue au milieu des sites pour réfugiés, la morve au nez et sans grand espoir de poser leurs fesses sur des bancs d’école. Ça fera de la future chair à canon pour les obscurantistes.
«Business as usual», pourrait-on dire. Quelle misère! La crise économique frappe de plein fouet les populations réfugiées tout comme les Libanais-es. Le chômage explose, le taux d’inflation galopant2>Plus 136% d’inflation de 2019 à 2020, selon le site libnanews.com/ place le pays en situation d’hyperinflation. La livre libanaise s’effondre face au dollar, comme les immeubles en face du port de Beyrouth lors de l’explosion accidentelle du 4 août dernier3>L’explosion d’un entrepôt de nitrate d’ammonium, survenue le 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, a fait plus de 150 morts, des milliers de blessés et a ravagé plusieurs hôpitaux de la capitale libanaise.. Selon les experts, le prix des médicaments va s’envoler avant la fin de l’année car le gouvernement doit faire des réformes pour obtenir de l’aide financière. Il ne pourra donc plus garantir aux grossistes en médicaments et produits pharmaceutiques un taux préférentiel fixe de 1 dollar pour 1507 livres, sachant qu’au marché noir le dollar s’échange actuellement entre 7000 et 8000 livres.
Les sans-papiers du Bangladesh et d’Erythrée qui travaillaient comme domestiques dans les quartiers huppés et les restaurants de la Corniche, à Beyrouth, ont perdu pour beaucoup d’entre eux leur travail. Leurs besoins sont identiques à ceux de leurs homologues des Philippines et d’Amérique du Sud qui se pressaient pour un sac de vivres à la patinoire des Vernets, à Genève, lors de la première vague de la Covid-19: il faut assurer le paiement du logement, même dans les vieux immeubles décrépis sans fenêtres et sans portes, il faut s’alimenter, envoyer les enfants à l’école et enfin payer ses soins dans un système de santé presque entièrement privatisé. Plusieurs centaines de sans-papiers ont été rapatrié-e-s par leur service consulaire après avoir attendu, et dormi parfois plusieurs nuits d’affilée, devant les ambassades à Beyrouth.
Nos cohortes de patients, petits et grands, souffrent de traumatismes psychologiques aggravés par les mesures de confinement et d’isolement, et par les conséquences du blast du 4 août et du deuxième incendie au port, le 10 septembre, sans parler des besoins en santé reproductive et materno-infantile.
Les Libanais et Libanaises qui œuvrent avec MSF craignent pour l’avenir de leurs familles, notamment celui des enfants à prendre en charge et à accompagner dans leur développement. Les plus chanceux et les plus aventureux tentent de s’expatrier; il s’agit sans surprise des mieux formés. Lorsque MSF ferme un projet, ce sont toujours les personnes les moins qualifiées qui trinquent et peinent à retrouver un job, même si elles s’accrochent et que certaines peuvent faire valoir une expérience de plusieurs années avec les sans-frontiéristes comme un avantage relatif sur le marché du travail du petit monde de l’humanitaire.
Mais il y a aussi les initiatives de solidarité qui voient le jour dans les quartiers des villes le long du littoral, et jusque dans la pleine de la Bekaa vers la Syrie si proche. Des distributions de vivres, des soupes populaires nourrissent une population précaire qui n’attend plus rien de l’élite au pouvoir. De l’aide toujours marquée du sceau confessionnel, parmi les dix-huit communautés4>Soit douze communautés chrétiennes, cinq communautés musulmanes et une communauté juive. reconnues par l’Etat libanais. Ici comme ailleurs, en temps de crise, l’entraide bat son plein.
Notes
Notre invité est chef de mission au Liban pour MSF Suisse.