Chroniques

Nouvelles offensives contre l’avortement

Aujourd'hui Hier Demain

Le 22 octobre dernier, le tribunal constitutionnel polonais décidait que l’avortement en cas de malformation du fœtus est incompatible avec la Constitution. Cette décision restreint un droit déjà fort limité, puisque l’avortement n’est désormais autorisé en Pologne que dans les situations de viol ou d’inceste ou si la vie de la femme est en danger. Jusqu’à aujourd’hui, 98% des avortements légaux dans ce pays concernaient une malformation fœtale. Le clergé se réjouit de cette décision et les organisations dites «pro vie» veulent aller plus loin, tandis que des milliers de femmes se rassemblent pour protester contre cette atteinte intolérable à leurs droits.

L’avortement est en effet un droit que les femmes acquirent chèrement. Celles qui, à la fin du XIXe siècle, luttaient pour que les femmes puissent au moins contrôler le nombre de leurs enfants se heurtaient à une répression très brutale et étaient souvent punies par des peines de prison. Dans un contexte de transition démographique et de baisse de la natalité, le rôle des femmes était de produire le plus d’enfants possible. Les militant-e-s insistaient sur l’importance d’une maternité choisie et voulaient donner aux femmes les moyens d’être maîtresses de leur corps et de leur destinée, d’échapper à la fatalité d’être mères contre leur volonté. Elles étaient parfaitement conscientes du caractère politique de leur lutte.

Emma Goldman dépeint ce milieu qui milite pour la diffusion des moyens de contraception au tournant des XIXe et XXe siècles. Elle participa au congrès néomalthusien1 de Paris en 1900, dont les séances se tinrent dans le plus grand secret, car évoquer la contraception était alors illégal. A New York, où elle exerçait comme sage-femme, Goldman assistait des femmes très pauvres dont le corps était souvent épuisé par les grossesses à répétition. A leur chevet, elle prit pleinement conscience de la misère engendrée par les familles trop nombreuses. Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, la diffusion de moyens de contraception devait être très discrète puisqu’elle contrevenait à la morale publique, voire était assimilée à de la pornographie. Goldman évoque aussi son procès: « Je parlais pendant une heure et déclarais en conclusion que si c’était un crime d’œuvrer en faveur d’une maternité saine et d’une vie heureuse de l’enfant, j’étais fière d’être considérée comme une criminelle.» En Suisse, le couple de médecins zurichois-e-s, Fritz et Paulette Brupbacher, milita en faveur de la diffusion des moyens de contraception et pour la réglementation de l’avortement. En 1936, Paulette Brupbacher se vit interdire par la police soleuroise d’évoquer en public le contrôle des naissances et l’avortement au nom de la morale et de l’ordre public.

A cette époque, la lutte consistait à affirmer que les femmes devaient pouvoir choisir de mettre au monde des enfants ou non et donc à réclamer qu’elles puissent disposer de leur corps. Ce n’est que dans les années 1970 que ce combat commença à porter ses fruits avec une libéralisation progressive de l’avortement: aux Etats-Unis avec l’arrêt de la Cour suprême Roe v. Wade en 1973 et en France avec la loi Veil en 1975. L’adoption de la «solution des délais» en Suisse dépénalise formellement l’avortement en 2002.

Chaque progrès, chaque avancée dans les droits des femmes devra être fermement défendue. Aujourd’hui, les attaques contre le droit à l’avortement se fondent sur un nouveau paradigme d’une sournoise bonne conscience: les droits du fœtus ou de l’enfant pas encore né. Quelques jours avant la décision du tribunal polonais, les Etats-Unis signaient la «déclaration du consensus de Genève». La Pologne et une trentaine d’autres pays y déclarent en préambule vouloir défendre «le droit qu’ont les femmes de jouir du meilleur état de santé possible». Même si le texte se prétend favorable à l’égalité, le droit de l’enfant «avant comme après sa naissance» y prime ceux des femmes. Il s’agit bien d’une nouvelle stratégie de réappropriation des corps féminins. Ces derniers ne sont plus seulement investis, comme jadis, du devoir sacré de reproduire l’espèce (avant toute autre activité ou fonction), ils sont subordonnés à un être qui n’est pas encore né. Cette approche n’est pas moins dangereuse puisqu’elle met en concurrence les droits des femmes et ceux des embryons ou des fœtus. Poussée à son paroxysme, elle vise bien une prise d’otage des utérus. Elle s’ajoute à d’autres obstacles, comme la possibilité pour les médecins en Italie de refuser de pratiquer un avortement au nom de la liberté de conscience.

Notre chroniqueuse est historienne.

Opinions Chroniques Alix Heiniger

Chronique liée

Aujourd'hui Hier Demain

lundi 15 janvier 2018

Connexion