Trop tard pour la politique des petits pas
«Aussi vite que possible» titrait récemment Le Courrier pour réfuter la pertinence du lancement par les grévistes du climat d’un référendum contre la loi CO2, appuyé par solidaritéS, membre d’Ensemble à gauche. Là où, selon l’éditorialiste du journal, les grévistes du climat n’auraient pas saisi «toute la difficulté» de la démarche, la gauche de gauche, elle, aurait décidé de partir «bille en tête dans un combat qui pourrait balayer des mesures indispensables et urgentes».
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Passons sur le fait que les grévistes du climat sont réduits à un rôle «d’aiguillon», faisant d’un mouvement social d’une extraordinaire ampleur un simple «dard» piquant le «bœuf» parlementaire. Et concentrons-nous plus spécifiquement sur l’argumentaire central de cet éditorial: «Etre déçu de voir la Suisse avancer (beaucoup) trop lentement est une chose, s’opposer à ces avancées en est une autre.»
Ce que l’on nous propose donc c’est le business as usual, «aussi lentement que nécessaire», alors que le dérèglement climatique impose des mesures fortes. Ce «premier pas» risque d’être en outre le seul, dans la mesure où la loi sur le CO2 fera référence pour les autres lois touchant les gaz à effet de serre. Et l’on voudrait nous faire admettre que cette loi, qui ne répond pas du tout à la gravité de la situation, irait dans la bonne direction? Que l’un des pays les plus riches du monde ne pouvait pas faire mieux? Et qu’il s’agirait d’appuyer ce «premier pas» pour éviter le chaos ou, pire encore, si l’on s’obstinait à préconiser des mesures plus radicales, la dictature, comme me l’avait vertement reproché le chef de groupe socialiste, Roger Nordmann, lors du débat au parlement en juin 2020.
La virulence des critiques auxquelles nous faisons face me semble liée au fait que nous désobéissons à la règle non écrite de notre démocratie de concordance, soit celle qui vise à travailler selon une ligne de moindre résistance à la recherche du moins mauvais compromis. Un compromis supposant un deal entre les parties et la garantie implicite qu’il ne sera pas violé; la défense à hauts cris de la loi CO2 par les socialistes et les Verts nous en donne la mesure.
Nous contestons non seulement la lettre mais aussi l’esprit qui a guidé son élaboration. La loi CO2 vise la population, multipliant les taxes qui n’auront pas d’effet incitatif. Alors que la place financière suisse pollue 22 fois plus que la population, elle laisse les banques tranquilles… De 2016 à 2019, Credit Suisse a prêté 75 milliards à la filière des énergies fossiles. L’an dernier, UBS a multiplié par neuf ses investissements dans le charbon. Trois quarts des grandes caisses de pension suisses sont sans politique climatique et investissent encore dans les fossiles. Et la BNS est responsable de 43,3 millions de tonnes d’émissions de CO2 par an, soit quasi autant que la Suisse entière. En outre, la loi pérennise le principe de la Bourse du carbone, qui permet aux pays riches, responsables de la catastrophe climatique, d’acheter des droits de polluer en subventionnant des politiques environnementales dans d’autres pays. Au lieu d’imposer de réels changements dans les règles de production de marchandises et leur circulation au niveau international, la loi CO2 propose donc d’offrir des bonus financiers aux acteurs qui investiront dans cette bourse.
Non, décidément, il faut s’opposer à cette loi par voie de référendum. Il y a des moments de bascule dans l’histoire où les petits pas s’apparentent à des reculs dangereux; nous vivons l’un de ces moments.
Stéfanie Prezioso est conseillère nationale, Ensemble à gauche/GE.