Genève

«Ni au Grand-Saconnex, ni ailleurs»

A l’appel d’une vingtaine d’associations, un millier de personnes ont participé samedi à une manifestation contre le futur centre de renvoi du Grand-Saconnex, dans le canton de Genève.
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A Genève, un millier de personnes ont manifesté, samedi après-midi, la place de la Navigation, aux Pâquis, pour dire leur refus de la construction du centre fédéral de renvoi, au Grand-Saconnex, dont l’ouverture est prévue en 2022.
Manifestation

Un millier de personnes ont rempli, samedi après-midi, la place de la Navigation, aux Pâquis, pour dire leur refus de la construction du centre fédéral de renvoi, au Grand-Saconnex, dont l’ouverture est prévue en 2022. «Ni au Grand-Saconnex, ni ailleurs», «Police partout, racisme partout», peut-on lire sur les banderoles. «Sur le tarmac de l’aéroport, alors qu’aucune autre habitation n’y est autorisée, cela me paraît impossible», estime aune jeune manifestante. Ur Shlonsky, signataire d’une lettre ouverte à l’attention des Conseils municipaux du Grand-Saconnex et de Pregny-Chambésy, évoque un accueil carcéral et une politique de ségrégation inacceptables. Il rappelle des antécédents douloureux dans les autres centres de renvoi nationaux, Chevrilles (FR), Boudry (NE) et Embrach (ZH). «Les récits de violence, d’humiliation, de tabassage et d’impossibilité à être défendu correctement dans la procédure d’asile y sont légion, nous offrant un avant-goût du traitement qui sera réservé aux requérants dans le centre de renvoi du Grand-Saconnex», dénonce-t-il.

Membre de Stop Isolation, une association qui œuvre pour la défense des droits des migrants, Saïd fait part de son parcours dans un centre de renvoi, dénonçant des violences commises en toute impunité. «Tout ce que je veux, c’est être libre et de la décence», demande-t-il, sous les applaudissements. Les témoignages de deux requérants d’asile du centre de Chevrilles, Cyril et Ali, sont également diffusés. Ils parlent de blessures physiques et psychologiques, de traumatismes persistants et d’absence totale de confiance envers le personnel de ces établissements. Les percussions du Red de Tamboreras de Suiza, groupe féministe doté samedi d’une dizaine de musiciennes, signalent le départ du cortège.

«Projet inhumain»

«Mur par mur, pierre par pierre, détruisons les centres de détentions», «Centre de renvoi du Grand-Saconnex dégage», scande la foule, dans une ambiance bon enfant. Irma et Arnaud, habitués des manifestations antiracistes, insistent sur «la nécessité d’attirer le plus de monde possible pour empêcher ce projet inhumain. C’est important que les gens aient accès à ce genre de témoignage si on veut espérer faire bouger les choses.»

Quel sera le statut de ce centre fédéral de renvoi? «Le complexe en construction s’appelle officiellement ‘centre fédéral d’asile sans tâche procédurale’. En réalité, jusqu’en 2017, pour de telles structures, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) employait l’appellation ‘centre d’attente et de renvoi’», rappelle Aldo Brina, chargé d’information du secteur réfugiés au Centre social protestant (CSP) de Genève. «Il est important d’appeler les choses par leurs noms, sans utiliser des dénominations floues.»

Interrogé par Le Courrier, Michel Pomatto, conseiller administratif socialiste du Grand-Saconnex, prend acte du mouvement citoyen et de ses revendications. «Ce qu’on peut faire, c’est relayer les attentes citoyennes auprès du canton et du Grand Conseil. A eux de prendre position vis-à-vis de la Confédération. En tant que commune, nous n’avions pas vraiment la marge de manœuvre d’accepter ou de refuser.»

Contactés par Le Courrier, tant le Département de la sécurité du canton que le Secrétariat d’Etat aux Migrations n’ont pas souhaité commenter la tenue de la manifestation.

Pas d’accès au pont du Mont-Blanc

Tout au long du parcours, des policiers étaient assignés au maintien de l’ordre, ainsi qu’au respect du parcours. Sur le quai des Bergues, ils ont bloqué le passage vers le pont du Mont Blanc. La manifestation s’est terminée sur la plaine de Plainpalais avec plusieurs prises de parole, notamment de Nicolas Walder, conseiller national genevois des Verts, et de l’association 3chêneaccueil, qui «tisse des liens fraternels avec les requérants d’asile». Celle-ci a lancé un appel à la dignité humaine et à l’accueil pour contrer l’extrême violence face à des personnes en situation d’extrême précarité réduites à l’impuissance. «Nous ne pouvons rester silencieux et silencieuses.»

Une organisation mouvementée

Les organisateurs ont dû braver bon nombre de difficultés pour organiser l’événement, mais le cortège a pu se dérouler sans encombre. «La police s’est même dit ravie de l’organisation», selon Loïck Levingston, co-organisateur de la manifestation et membre du collectif 3chêneaccueil. Au préalable, le parcours a dû être modifié à plusieurs reprises.

«Début septembre, nous avons soumis quelques itinéraires aux autorités, qui tous passaient par le pont du Mont-Blanc, pour la symbolique et un maximum de visibilité.» Ceux-ci ont été rejetés par la police, qui a proposé de passer par de plus petites rues. Après maintes discussions, le comité d’organisation a pris le parti d’accepter le parcours proposé, «afin d’éviter de mettre en péril la tenue de la manifestation».

Juliette Fioretta, co-organisatrice de la manifestation et membre de l’association Solidarité Tattes, abonde. «Pour obtenir le droit de faire une manifestation à Genève en ce moment, il faut être capable de négocier avec vingt personnes des forces de l’ordre, défendre ses opinions de manière claire et maîtriser le français, sinon l’action est impossible.»

Les deux militants déplorent les difficultés croissantes rencontrées. «Le discours des forces de l’ordre, c’est que l’on est tous partenaires et que l’on doit trouver une solution ensemble pour que la manifestation puisse se dérouler sans déranger personne, mais nous ne sommes pas partenaires et bien sûr que l’on veut déranger des gens, attirer l’attention, donc notre but premier n’est pas de ne faire aucun remous.» MML

Régions Genève Mathilde Morel Manifestation

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