Genève

«Occupez-vous de vos nombrils!»

Le «t-shirt de la honte» continue à faire des remous. Une manifestation s’est tenue mercredi matin à Pinchat pour condamner un phénomène généralisé.
«Occupez-vous de vos nombrils!»
Les militantes vêtues de crop top, jupes et débardeurs à bretelles, ont réclamé le droit de s’habiller «comme on veut». ERIC ROSET
Tenue vestimentaire

Le cycle de Pinchat a senti le souffle de la révolution, mercredi matin. «DIP de la honte»1>Département de l’instruction publique, scandaient sous ses fenêtres une cinquantaine de personnes, bientôt rejointes par des dizaines d’élèves. Toutes sont venus manifester sur les coups de 8h30 contre les injonctions vestimentaires de l’établissement.

>>>> Notre édito du jour: Pinchat, corps et désaccord 

A l’entrée de la cour d’école, les militantes de tous âges, vêtues de crop top, jupes et débardeurs à bretelles, ont formé une haie d’honneur pour réclamer le droit de s’habiller «comme on veut», selon les mots d’Hanna, élève à Pinchat.

La jeune fille n’est pas là par hasard: comme d’autres de ses camarades, elle a dû porter le «t-shirt de la honte» pour cacher ses vêtements jugés inadaptés au milieu scolaire. Ce mercredi, le maillot décrié est habilement détourné: l’une des jeunes manifestantes le porte retroussé sur un jeans taille haute, laissant apparaître une partie de son ventre, surmonté du slogan devenu célèbre: «Collège de Pinchat, J’ai une tenue adéquate».

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ERIC ROSET

Soutien masculin

Trop aguicheuses, ces jeunes filles dont l’habit laisse voir la peau? «Ce ne sont pas les garçons qui sont déconcentrés par ces tenues, mais les profs!», s’insurge Elsa. Celle qui a lancé, avec deux amis, une page de témoignages appelée «Balance ton école»2>balance_tonecole, est venue ce matin marquer son soutien aux plus jeunes.

Et les garçons, justement? Certains, comme Giovanni, sont présents, au côté de leurs camarades féminines, pour montrer leur désaccord avec le règlement du cycle: «Je viens pour elles, pas pour moi. Je me rends bien compte qu’elles se font punir sous prétexte qu’on voit deux centimètres de leur ventre!» D’autres jeunes de son âge regardent la scène de plus loin, repartent avec quelques flyers. Ont-ils compris pourquoi les filles se mobilisaient? «C’est pour les droits des femmes», dit l’un d’eux. Et l’autre de surenchérir: «Le plus choquant, c’est que ce sont souvent des enseignantes femmes qui distribuent ce t-shirt aux élèves!»

Problème généralisé

Si la polémique a enflé autour du cycle d’orientation de Pinchat, celui-ci n’est que l’épicentre d’un problème plus vaste, si ce n’est systémique. Depuis que la parole des jeunes s’est libérée, les témoignages pleuvent, notamment sur les réseaux sociaux. Au départ, toujours, une remarque ou un regard appuyé sur une tenue. C’est ce qu’a vécu Inès, 13 ans, au cycle de Drize: «Mon professeur de gym m’a reproché de porter un top qui laissait dépasser mes bretelles de soutien-gorge. Il m’a dit que c’était vulgaire et qu’il fallait porter une brassière. J’ai trouvé sa remarque d’autant plus déplacée qu’elle sous-entendait qu’il avait fixé nos poitrines pour savoir quel type de sous-vêtements nous portions. En plus, je ne porte pas de soutien-gorge dans la vie de tous les jours, mais j’en mets juste-ment à la gym pour ne pas subir de remarques. On ne peut jamais bien faire en fait!»

Au cycle du Marais, une jeune fille dénonce les contrôles systématiques des tenues à la pause, assortis de sanctions, par le directeur. A la Golette, une autre rapporte qu’une enseignante lui aurait dit, alors qu’elle portait un short: «Faut pas s’étonner si les garçons te mettent la main aux fesses!» Le malaise s’étend aux écoles de culture générale et collèges. Là, pas mention de t-shirt de la honte, mais plutôt de regards insistants et remarques déplacées de professeurs.

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ERIC ROSET

Enseignants démunis

Retour à Pinchat ce mercredi matin, où une enseignante s’énerve en voyant l’attroupement d’élèves dans la cour. «Vous nous faites chier avec vos t-shirts! Ce débat est ridicule, allez seulement les voir à l’arrêt de bus chaque matin, vous comprendrez le problème!» Un avis que ne partagent pas tous ses collègues. A quelques pas de là, l’un d’entre eux admet appliquer le règlement, sans forcément en avoir interrogé la pertinence jusque-là. «Notre faute en tant qu’enseignants, c’est sans doute d’être restés passifs et de ne pas avoir lancé le débat plus tôt», relève Anne Michel, ancienne enseignante de géographie à Pinchat et actuelle coprésidente du SSP Genève.

«Les enseignants se sentent assez démunis face à ces questions», relaie quant à lui David Fernex, membre du comité de l’association faîtière des enseignants du cycle d’orientation, la Famco. «Je crois qu’il y a consensus pour dire que l’école doit travailler sur la question de la tenue vestimentaire. Mais cela ne signifie pas forcément intervenir ou interdire. Discuter avec les élèves des codes sociaux existants me paraît plus judicieux, sachant que nous sommes face à de jeunes adolescents en pleine évolution dans la perception d’eux-mêmes, de leur corps et des autres. Ils ont besoin d’une réponse plus complexe qu’une interdiction, avec la-quelle on obtient tout au mieux l’obéissance, mais certainement pas l’éducation.»

Réaction politique

Les politiques ont saisi la balle au bond. Françoise Nyffeler, élue Ensemble à Gauche au Grand Conseil, annonce le dépôt d’une motion destinée à supprimer les sanctions vestimentaires. Elle pourrait être traitée dès cette fin de semaine par le législatif. A court terme, la députée prévoit également de déposer un projet de loi destiné à abroger l’article de la Loi sur l’instruction publique (LIP) relatif à l’habillement vestimentaire des élèves. Le Mouvement citoyen genevois annonce quant à lui le dépôt d’une motion au Grand Conseil pour l’instauration d’une tenue standardisée – comprendre uniforme – dans les écoles.

Les élèves, eux, s’auto-organisent. Dans les rangs des manifestants, une pétition circule. Destinée à la cheffe de l’Instruction publique, Anne Emery-Torracinta, elle a déjà été signée près de 1200 fois sur internet. Elle demande notamment l’abandon définitif du t-shirt XXL, la révision des règlements vestimentaires et la formation systématique des enseignants aux questions de discrimination.

L’école ne peut pas se priver d’un cadre sur les tenues vestimentaires, insiste de son côté Anne Emery-Torracinta. Toutefois, ce qui est considéré comme adéquat évolue avec le temps et dépend des points de vue. C’est pourquoi ces règles ne doivent pas être imposées par le haut, mais être comprises et partagées, affirme la magistrate. D’où «la nécessité de les rediscuter en concertation avec les directions, les enseignants, les parents et les élèves».

Président du Conseil d’Etat, Antonio Hodgers se réjouit du «débat salutaire» qui a émergé, venant d’adolescentes refusant d’avoir honte de leur corps. Le problème vient-il d’une école restée en partie vieux jeux et faisant preuve de sexisme? «Il n’y a pas de sexisme, dès lors que les règles vestimentaires s’appliquent aux filles comme aux garçons», balaie Mme Emery-Torracinta. Pas sûr que cet argument convainque les manifestants.es. Mais voilà déjà une petite victoire à leur compteur: à Pinchat, le directeur, Alain Basset, s’est engagé à entamer des discussions pour réviser le règlement interne.

Notes[+]

* prénom d’emprunt

Régions Genève Maude Jaquet Tenue vestimentaire

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