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L’auteur d’une attaque à l’acide doit être recherché avec diligence

Chronique des droits humains

Le 4 août dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Albanie pour avoir violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le droit à la vie de toute personne, dans son volet procédura1> Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 4 août 2020 dans la cause Dhurata Tërhana c. Albanie 2ème section.
. L’affaire en question concerne l’attaque à l’acide dont la requérante a fait l’objet en 2009.

La requérante est une ressortissante albanaise, née en 1984, vivant à Tirana. Le 29 juillet 2009, aux environs de 16 heures, alors qu’elle cheminait dans une rue de Tirana avec des collègues, elle fut agressée par un homme non identifié qui l’aspergea d’acide sulfurique. Elle fut immédiatement transférée à l’hôpital dans un état critique, brûlée sur 25% du corps, principalement au niveau du visage et du haut du corps. Le 1er août, elle fut transférée dans un hôpital italien spécialisé. Entre 2009 et 2012, elle dut subir au moins quatorze opérations et souffre toujours d’anxiété et de troubles psychologiques. Elle a encore peur à l’heure actuelle de retourner en Albanie.

Le jour de l’agression, le parquet ouvrit immédiatement une enquête. Dans sa déposition, la requérante déclara qu’elle n’avait reconnu son agresseur, mais soupçonnait son ex-mari d’avoir organisé l’attaque, lui qui, par le passé, s’était montré violent envers elle et l’avait menacée de la tuer. L’appartement de l’ex-mari fut perquisitionné et divers objets furent saisis, notamment deux couteaux. D’autres mesures d’enquête furent prises, notamment une inspection sur place, l’audition des membres de la famille de la requérante comme de celle de son ex-mari, l’examen d’images vidéo provenant de caméras de surveillance de deux banques situées près de l’endroit où l’agression s’était déroulée, l’établissement de rapports médicolégaux et la commande de deux autres expertises visant à l’identification des empreintes digitales présentes sur le récipient qui avait été utilisé pour asperger la requérante ainsi que de la substance retrouvée dans celui-ci et sur les vêtements de la victime. L’enquête fut suspendue au mois de février 2010, faute d’avoir trouvé l’agresseur ou la substance employée. Depuis cette date, la requérante s’est maintes fois enquise du déroulement de l’enquête, en vain.

La Cour considère que, faute d’indices, notamment de signalements de la requérante aux autorités avant l’agression, ces dernières ne pouvaient avoir connaissance d’un risque réel et immédiat pour sa vie ou son intégrité physique. Il n’y a donc pas en l’espèce de violation de l’article 2 de la Convention sur le fond. En revanche, la Cour a constaté que malgré plusieurs mesures d’instruction, la substance utilisée pour attaquer la requérante n’avait pas pu être identifiée et qu’aucun rapport d’expertise chimique ou toxicologique n’avait été obtenu en raison du manque de matériel spécialisé nécessaire à ces examens. Or, une telle agression exige que les autorités réagissent avec une diligence particulière et mènent une enquête approfondie, surtout dans un pays où régnait, du moins à l’époque, un climat général de clémence à l’égard des responsables de violence envers les femmes. Ce défaut de diligence, auquel s’ajoute le manque d’informations données à la requérante sur l’avancement de l’enquête malgré des demandes répétées, constitue un manquement tel que l’article 2 de la Convention dans son volet procédural n’a pas été respecté par l’Albanie.

Pour juger du climat général de clémence à l’égard des responsables de violence envers les femmes, la Cour s’est appuyée sur les rapports du Comité pour l’élimination des discriminations envers les femmes, institué par la Convention des Nations unies du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discriminations envers les femmes, en vigueur pour la Suisse depuis le 26 avril 19972>RS 0.108., et du groupe d’experts sur la lutte à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), institué par la Convention du Conseil de l’Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, en vigueur pour la Suisse depuis le 1er avril 20183>RS 0.311.35.. Cela démontre l’importance de ces conventions multilatérales et des rapports que les organes institués par ces conventions émettent régulièrement.

Notes[+]

Avocat au Barreau de Genève, président de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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