Optimiste de volonté, sinon de raison (oui, j’ai lu Gramsci), et ayant entendu ou lu quelque part que d’un mal pouvait sortir un bien, j’ai cherché quel bien on pouvait faire sortir de Trump. Ce type serait prince du Liechtenstein ou président du Cap-Vert, ou de la Confédération suisse, on se contrefoutrait, sauf à en rire, de son comportement et de ses décisions. Seulement voilà, il est président d’une des deux plus grandes puissances mondiales, dont le régime, précisément, est présidentiel, ce qui donne à qui en est président le pouvoir de faire beaucoup de dégâts. S’il n’en faisait que chez lui, on pourrait en rendre au moins responsables ceux qui l’ont élu (ils l’ont voulu? ils l’ont eu; qu’ils se démerdent avec lui), mais des dégâts, il peut en faire presque partout… surtout chez ceux et celles qui ne sont en rien responsables des conneries des électrices et électeurs américains et de leur président mais sont trop petits, trop pauvres et trop faibles, ou trop divisés, pour lui résister.
Alors, quel bien peut sortir d’un Trump, s’il peut en sortir quoi que ce soit d’utile à quelque chose? Des titres du Monde de vendredi dernier suggèrent quelques réponses – à prendre avec des pincettes, tout de même: «Donald Trump fait exploser l’OTAN»? Ce serait une bonne chose de faite – mais qu’en vont penser tous ceux qui depuis des années cherchent à arrimer la Suisse à cette alliance dont Macron disait qu’elle était en «mort cérébrale» bien avant que Trump menace de la débrancher? «Trump fait trembler les producteurs de vin, de spiritueux et de produits laitiers français»? Bah, si ça peut inciter à repenser le modèle agricole chez nos voisins (et chez nous), pourquoi pas? On n’a rien contre l’alambic du village… «La menace américaine déconcerte l’industrie pharmaceutique»? On a assez fait les frais de la concertation de ses grands acteurs pour ne pas regretter qu’ils soient déconcertés… «Vent de panique sur l’industrie automobile mondiale»? Elle n’a que ce qu’elle mérite…
Evidemment, notre pessimisme de la raison nous murmure qu’on est en train de chercher des raisons de ne pas désespérer tout à fait de l’état dans lequel Trump et son clan sont en train de mettre le monde, et de se raccrocher à quelques informations plus jouissives que toutes celles dont le mouvement orwellien déclenché par Trump, Musk, Vance et leurs porte-flingues nous submerge… Du maccarthysme version 1984: c’est la fermeture de l’aide humanitaire internationale; c’est Elon Musk mis à la tête d’un «Département de l’efficacité gouvernementale» chargé de tailler à la tronçonneuse argentine dans le secteur public; ce sont deux millions de fonctionnaires fédéraux sommés de faire la liste des tâches effectuées dans leur dernière semaine de boulot, sous menace d’être licenciés s’ils ou elles n’obtempèrent pas; c’est le ministre américain de la Santé, Robert F. Kennedy Junior qui, face à une épidémie de rougeole qui a fait son premier mort la semaine dernière, préconise le recours à l’huile de foie de morue plutôt qu’au vaccin; c’est Trump qui affirme devant le Congrès, pour justifier des coupes dans les programmes sociaux, qu’une personne âgée de 360 ans recevait des aides sociales; c’est Trump encore, toujours fort avec les faibles mais beaucoup moins avec les forts, qui accuse le président ukrainien d’avoir déclenché l’invasion de son propre pays par la Russie; c’est l’administration Trump qui démantèle la recherche et les agences américaines sur le climat, affaiblit le réseau mondial d’observation météorologique et océanique et le système d’alerte sur les catastrophes, menace d’expulsion les étudiants étrangers qui participent à des manifestation de soutien à la recherche scientifique.
C’est Trump, toujours, qui lance l’épuration de la culture, des arts et des sciences. On n’en est pas encore à brûler en place publique les livres que Trump n’a pas lus mais dont il a entendu causer (c’est souvent comme ça que ça commence, le pire: par des livres qu’on brûle sans les avoir lus), mais on en est déjà à extirper des bibliothèques publiques les livres dont on veut empêcher la lecture, à empêcher d’utiliser dans les moteurs de recherche des sites gouvernementaux des mots véhiculant des idées qu’on n’aime pas, ou à faire annuler par des musées des expositions sur des thèmes dont on ne veut pas débattre.
Certes, on pourrait se dire, à la manière des nihilistes russes du XIXe siècle, que tout ce qui peut bousculer l’ordre social est bon à prendre; et à sa manière pachydermique Trump y concourt, mais quand même, on ne s’attendait pas à ce que Netchaïev règne à la Maison Blanche… En attendant la conclusion (provisoire, et sans morale utilisable) de cette navrante histoire, savourons au moins un effet Trump: la remobilisation du mouvement social, aux Etats-Unis et ailleurs. Le 8 mars, dans les rues de Genève (et d’ailleurs, sans doute), le lien s’est fait, dans les manifestations de la Journée des luttes des femmes, entre le féminisme et l’antifascisme. Trump, ferment de l’intersectionnalité et de l’unité des résistances, cela doit bien relever de l’ironie de l’Histoire (avec une grande Hache), non?