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Un film à thèse sur la masculinité toxique

Les écrans au prisme du genre

Pierre, un cheminot lorrain, vit avec ses deux fils jeunes adultes. Louis le cadet s’apprête à intégrer une prépa parisienne; Félix dit «Fus», l’aîné, est dans une filière professionnelle et tombe sous l’emprise d’un groupe d’extrême-droite violent. Le père assiste impuissant à la dérive fascisante de son fils, jusqu’à la catastrophe. Les réalisatrices de Jouer avec le feu1>Jouer avec le feu (2025), un film français écrit et réalisé par Delphine et Muriel Coulin., Delphine et Muriel Coulin, qui en sont à leur troisième long-métrage de fiction, ont proposé en 2016 Voir du pays, un film remarquable sur les mésaventures de deux jeunes femmes engagées volontaires qui reviennent d’Afghanistan avec leur section majoritairement masculine.

Dans Jouer avec le feu, il n’y a plus de femme: ni le père veuf ni les fils ne semblent avoir de fréquentations féminines. On les voit évoluer dans le décor un peu claustrophobe de leur petite maison d’un faubourg ouvrier en Lorraine, entourée d’un étroit jardin. Le parti pris de mise en scène ajoute encore à la claustrophobie par des plans systématiquement rapprochés sur les personnages, sans qu’on puisse appréhender l’espace qui les entoure. On ne saura rien des raisons pour lesquelles le fils aîné bascule dans la violence, et les séquences qui mettent en scène les groupes fascistes sont à la fois anxiogènes et esthétisantes. On assiste par exemple à un match de MMA [mix d’arts martiaux] dans un hangar souterrain où des hommes à moitié nus se pressent en vociférant contre le grillage qui délimite un ring, et la caméra qui suit le père tourne autour du grillage comme fascinée par toute cette violence – on pense à Fight Club (David Fincher, 1999).

De plus, le film laisse entendre (et c’est très discutable) que la violence existe autant à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, puisque Fus est grièvement blessé par un «antifa» au cours d’une rixe. Après une très longue convalescence, il se venge conte son agresseur et le tue à coups de barre de fer.

Le procès pour assassinat clôt le film avec un très long témoignage du père sur son impuissance, qui fonctionne comme la thèse du film: on ne peut rien comprendre au basculement des jeunes hommes dans les groupes suprémacistes violents (comme si c’était la seule expression de l’idéologie d’extrême droite). C’est pour le moins simpliste et guère éclairant sur la situation politique actuelle en France (et ailleurs).

Jouer avec le feu semble nous dire que c’est l’absence de femmes qui rend ce monde invivable, mais la démonstration est lourde. D’autant que Vincent Lindon, dans son rôle favori de représentant de la classe ouvrière accablé et mutique, ne varie pas beaucoup ses expressions. Seul le football semble capable de réunir joyeusement les trois hommes, mais la fête est gâchée par la présence des ultras dans les gradins du stade.

Le film est interminable, avec une succession des péripéties calamiteuses jusqu’au plan final dans la prison où le père voit son fils disparaître derrière les portes blindées du parloir. De la part de deux cinéastes qui assument leur féminisme, on espérait un film moins caricatural sur la masculinité toxique.

Notes[+]

Geneviève Sellier, historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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