Agora

Comme hier dans les plantations

«Pas facile de faire entendre la voix pour baliser la paix dont a besoin le vivre-ensemble en Suisse et en Europe quand on est Noir-e.» Sous ce libellé, l’écrivain Alain Tito Mabiala livre ses réflexions.
Société

Souvent le trépas frappe la dignité que nous méritons; et la vie, si précieuse, qui se chante dans les préceptes dits civilisés, contenus dans les textes des philosophes européens qui la placent comme le summum d’où découle tout ce qui est. Le crime du ou de la Noir-e semble légal. L’acte létal suscite l’indifférence institutionnelle, comme hier dans les plantations de canne à sucre et de coton. Cette résurgence et cette mise à mort, là où le droit fonctionne, laissent perplexe. A tomber des nues.

Tous les âges pâtissent de cette propension à ne voir dans le ou la Noir-e qu’un rebut ou une victime qu’il faille sauver ou haïr. Sauver parce que la compassion lui sied bien, c’est ce qu’il ou elle inspire dès qu’on le ou la voit, et l’on se réjouit de lui avoir été utile, ça motive l’esprit dans la lutte pour l’égalité et contre les préjugés. Oubliant de s’opposer à l’histoire européenne latente faussant la vérité politique et publique d’ici et d’ailleurs par l’éducation; surtout en Afrique, en imposant des vassaux du néocolonialisme, jusqu’à initier des règles biaisées à travers la diplomatie et des liens économiques. Sinon on les hait simplement: cela provient de représentations sociales héritées, dans une logique inconsciente que l’on assume ou pas. C’est un point cependant soulevé notamment par le rapport de la Commission fédérale contre le racisme de décembre 2017. Jusqu’à les approcher, malignement derrière une amitié factice, et répertorier leurs défauts, en faire une typologie des générations d’hier, d’aujourd’hui et de demain, de sorte à renforcer les aphorismes qu’ont contés les suppôts de la machiavélique entreprise coloniale quand, en leur sein, était élucidé notre abâtardissement.

Chaque fois que la mort cynique liée à ce que nous sommes surgit, c’est l’explosion de l’indignation, les ondes sont envahies par nos mots d’insurrection. Or, ce qui étonne, c’est la dérobade des écrivain-e-s noir-e-s. Celles et ceux qui parlent de l’Afrique en français, comme à l’époque Breton ou encore Rimbaud, sont invités pour évoquer les abysses de l’Afrique d’hier et d’aujourd’hui. Elles/Ils appuient au millimètre près les détails sordides de ce que chantent certains sociologues et économistes des pays occidentaux sur le catastrophisme auquel survit l’Afrique. Incapables de décomplexifier les maux dont souffrent les leurs.

Les Noir-e-s doivent résister et agir, loin de la résilience, pour réécrire l’histoire. Ne pas attendre l’irruption providentielle d’un fait favorable à l’éclosion de leur indéniable humanité. Surtout ne pas suivre les penseurs de la léthargie les culpabilisant dès qu’ils se réfèrent l’esclavage et la traite des Noirs, pour saisir leurs rapports avec le reste du monde, et construire surtout une humanité égalitariste, aseptisée des paradoxes de l’histoire.

 

* Journaliste et poète congolais exilé en Suisse. Dernier ouvrage paru: Ailleurs, 5 Sens éditions, Genève, 2019.

Opinions Agora Alain Tito Mabiala Société

Connexion