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L’Etat doit prévenir les suicides en détention

Chronique des droits humains

Ce mardi 30 juin, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Suisse pour avoir violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le droit à la vie de toute personne1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 30 juin 2020 dans la cause Sonja Frick c.Suisse (3ème section).. L’affaire en question concerne le suicide du fils de la requérante intervenu dans une cellule de la police zurichoise, à la suite d’un contrôle routier.

Le dimanche 28 septembre 2014, aux environs de 21 heures, le fils de la requérante, âgé de quarante ans, causa un accident au volant d’une voiture appartenant à son employeur. Il se trouvait en état d’ébriété et sous l’influence de médicaments. Il ne subit pas de blessures graves et ne causa pas de dommages à des tiers. Le taux d’alcoolémie révélé sur place se monta à 1,25 pour mille. Le conducteur montra toutefois des troubles du comportement et réagit plusieurs fois de manière agressive à l’égard des policiers. Ces derniers décidèrent alors d’impliquer sa mère – la requérante – arrivée sur place à la suite d’un appel de son fils, et d’emmener le conducteur à l’hôpital pour un prélèvement de sang et d’urine. Après avoir été mis au courant de la nécessité de procéder à d’autres examens, le conducteur devint beaucoup plus agité, menaçant même de se tuer. Aux alentours de 22h50, un policier appela la centrale de gestion du trafic de la police cantonale et l’informa qu’il était nécessaire d’envoyer un médecin à la base routière d’Urdorf. Le conducteur arriva à cet endroit à 23h50 avec les deux policiers qui l’avaient contrôlé et sa mère. Sur place, les agents de police décidèrent d’amener le conducteur dans une cellule au sous-sol. Vers 00h35, le médecin qui était arrivé à la base routière décida de différer sa visite en cellule jusqu’à l’arrivée d’un renfort policier. A 01h05, il se rendit avec ces renforts dans la cellule et découvrit le conducteur pendu à une grille de ventilation avec l’entrejambe de son jean qu’il avait accroché à cette grille.

Une enquête préliminaire fut ouverte lors de laquelle les agents de police et les médecins furent entendus. La requérante déposa alors plainte pour homicide par négligence, mais le Tribunal cantonal zurichois refusa d’autoriser l’ouverture de poursuites pénales, pour absence de soupçons d’infractions pénales. Cette décision fut confirmée par le Tribunal fédéral au mois d’octobre 2015.

La Cour rappelle que l’article 2 de la Convention astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Cette disposition peut, dans certaines circonstances, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre des mesures opérationnelles préventives pour protéger un individu contre autrui, ou même contre lui-même. Dans le cas spécifique du risque de suicide en prison, une telle obligation existe lorsque les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait un risque réel et immédiat qu’un individu donné pût attenter à sa vie. Dans le cas qui lui a été soumis, la Cour constate que le conducteur montrait dès le premier contact avec la police un comportement inhabituel, caractérisé par une dépendance émotionnelle à sa mère dans une situation qui lui faisait peur. A la base routière, il avait été placé seul dans une cellule, après avoir été soumis à une fouille corporelle, comprenant un examen rectal, considérée comme disproportionnée et humiliante. Les agents de police devaient, dans ces circonstances, reconnaître l’angoisse et l’incertitude ressentie par le conducteur, et dès lors sa situation de vulnérabilité exigeant une attention particulière. Ils ont pourtant placé le conducteur, seul, dans une cellule en sous-sol, sans vidéosurveillance, pendant plus de quarante minutes, alors qu’ils étaient encore cinq sur les lieux et auraient pu le garder dans un bureau au premier étage, en présence de sa mère. En outre, ils ont fait appel à un médecin urgentiste ordinaire, alors qu’ils auraient dû appeler un psychiatre qui les aurait mieux conseillés sur les précautions à prendre.

L’obligation pour les Etats de protéger le droit à la vie requiert aussi qu’une forme d’enquête effective soit menée lorsqu’un individu perd la vie dans des circonstances suspectes. Cette enquête doit permettre aux autorités d’établir les causes de la mort et d’identifier les éventuels responsables et d’aboutir à leur punition. Dans le présent cas, la Cour est de l’avis que la façon dont le système de justice pénale de notre pays a répondu à l’allégation crédible de violation de l’article 2 de la Convention face à la situation d’un individu ayant exprimé des intentions suicidaires claires et répétées n’a pas permis d’établir la responsabilité des agents de l’Etat quant à leur rôle dans ces événements. Ainsi, ce système n’a pas garanti la mise en œuvre effective des dispositions assurant le respect du droit à la vie, en particulier la fonction dissuasive du droit pénal.

La pratique judiciaire fourmille d’exemples où les juridictions ont des réticences à mettre en cause des agents de l’Etat. Ainsi, récemment, le Tribunal fédéral a dû rappeler à la Cour de justice genevoise qu’un recours formé par des parents était ouvert devant elle contre une ordonnance de classement rendue à la suite d’un suicide d’une jeune fille hospitalisée 2>Arrêt du Tribunal fédéral du 13 novembre 2019 dans la cause 6B_307/2019 publié in ATF 146 IV 76..

Notes[+]

Avocat au Barreau de Genève, président de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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