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Les malades psychiques, principales victimes des violences policières

L'Allemagne vue de là-bas

Aristeidis L. est décédé le 12 janvier 2020, après avoir été plaqué au sol dans un ascenseur d’un poste de police, pieds et poings liés, par quatre policiers. Il souffrait de troubles psychiques, avait probablement consommé beaucoup d’alcool et de drogue avant son arrestation. Ce cas, classé sans qu’aucun des policiers impliqués ait été jugé, est révélateur de deux tendances fortes en Allemagne: l’emploi surdimensionné de la violence envers des personnes atteintes de troubles psychiques, et la complaisance du Ministère public envers la police.

Aristeidis L. était à moitié nu dans une boulangerie de Berlin en plein après-midi. Visiblement alcoolisé, il vandalise les lieux et une employée appelle la police. Treize agents sont mobilisés pour son arrestation, qui se passe mal: Aristeidis L. est rapidement menotté, puis entraîné dans un fourgon, où ses pieds sont également immobilisés. A sa sortie du fourgon, pieds et poings toujours attachés, Aristeidis L. se démène, et les policiers emploient de fortes de doses de spray au poivre. Pour l’emmener en cellule, les agents préfèrent l’ascenseur aux escaliers; ils plaquent et maintiennent Aristeidis L. au sol. Durant la montée, qui est ralentie par inadvertance, Aristeidis L. étouffe. Arrivé à l’étage, il est sans connaissance et ne respire plus. Il décède deux semaines plus tard à l’hôpital.

La mort d’Aristeidis L. s’ajoute à une longue liste de cas similaires en Allemagne, qui indiquent une première tendance: la police allemande emploie la force de manière disproportionnée face à des personnes atteintes de troubles psychiques. Trois personnes sur quatre décédées des suites de violences policières peuvent être considérées comme faisant partie de cette catégorie, selon le criminologue et ancien recteur d’académie de police Thomas Feltes. Or, un nombre considérable de personnes meurent des suites de violences policières: au moins 269 décès sont à déplorer depuis 1990, dont 13 en 2016, selon plusieurs organisations civiles.

L’enquête sur le décès d’Aristeidis L. fait état de plusieurs lacunes graves. Elle a été classée sans suite par le Ministère public allemand. Parmi les quatre agents impliqués dans l’ascenseur, tous n’ont pas été interrogés: celui qui, selon les dires de ses collègues, a maintenu Aristeidis L. plaqué au sol n’a pas eu à donner sa version des faits. Les témoignages des policiers présents sont contradictoires et d’importantes incertitudes demeurent.

Que l’affaire ait été classée correspond à une seconde tendance. Selon une récente étude du criminologue Tobias Singelnstein, seules 2% des enquêtes pénales contre un policier se résolvent au tribunal. Or, toujours selon ce dernier, seul un cas de violences policières sur cinq ferait l’objet d’une plainte: les policiers violents bénéficient donc à la fois d’un faible taux de dénonciation de la part des victimes et du soutien du système judiciaire. Le Ministère public tendrait à classer ces affaires pour plusieurs raisons, que ce soit pour soigner ses relations avec les forces de police, par estime mutuelle entre fonctionnaires ou encore parce que les agents de police conservent une forte image de neutralité.

Les deux criminologues sont unanimes: il s’agit d’un problème structurel, et non de cas isolés. Pour le résoudre, plusieurs propositions ont été avancées – une intégration plus importante de la dimension psychologique dans la formation des policiers, la généralisation de caméras, voire l’obligation de porter un numéro d’identification étendues à l’ensemble du territoire – mais les réformes sont difficiles. Les fonctionnaires de police font partie, en Allemagne comme ailleurs, des rares groupes professionnels courtisés par l’ensemble des partis politiques, comme l’a encore souligné l’impressionnante glorification des forces de l’ordre après la débâcle de la gestion des événements en marge du G20 à Hambourg en 2017.1>Lire Arthur Devriendt, «Le sommet, le maire et la police: un an après le G20 à Hambourg», Blogs de Mediapart, 13 août 2018.

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Notre chroniqueur est historien romand établi à Berlin.

Opinions Chroniques Séveric Yersin

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