Le retour de la «grippette»
L’idée se répand, petit à petit, sur les réseaux sociaux et dans quelques médias: et si le danger du coronavirus avait été surestimé? Oh, tous ne vont pas jusqu’à évoquer la «grippette» chère à Donald Trump et à son disciple Jair Bolsonaro. Mais, devant le recul de la pandémie en Europe et son relatif contrôle en Asie, certains s’interrogent: quid de l’hécatombe annoncée?
Des études ramenant le taux de létalité de la maladie, initialement constaté autour de 3% vers un 0,5%-1% sont brandies à l’appui de cette thèse. «On» nous aurait menti, inutilement alarmé, provoquant une catastrophe économique et sociale, professe-t-on dans un langage vaguement conspirationniste, où l’on peine à comprendre qui aurait fait quoi et pourquoi? Pour mieux contrôler la population? Comme si la NSA, Visa, Google ou même le Conseil d’Etat genevois avaient attendu le Covid-19 pour piétiner nos libertés.
Certes, le confinement plus ou moins dur imposé depuis mars dans une majorité de pays aura eu des effets délétères et aurait sans doute pu être évité, si les Etats avaient pris au sérieux la menace dès janvier et surtout s’ils n’avaient auparavant bradé leurs capacités industrielles et sanitaires. On ne fait cependant pas de politique avec des «si», uniquement avec la réalité. Une réalité qu’il faut rappeler: en laissant filer la pandémie, la saturation des services hospitaliers aurait été inévitable et le taux de létalité aurait explosé. En admettant qu’il se soit maintenu à 1%, si un tiers de la population suisse avait été infectée, le bilan humain aurait été de 27000 morts… Contre moins de 2000 décès aujourd’hui.
Des «si»? Non, le reflet de la réalité vécue ailleurs, là où la menace a été sous-évaluée. Sur la côte Pacifique de l’Equateur, les effets d’une propagation sans frein du virus ont été expérimentés in vivo. Dans la zone de Guayaquil, peu connue pour héberger des grabataires, quelque 30% des habitants auraient été infectés. Un chiffre qui fait rêver les tenants d’une conquête rapide de l’immunité de groupe. Mais qui a eu son prix: en mars et avril, le nombre de morts a été multiplié par trois par rapport à 2019! Une explosion de la mortalité pourtant encore inférieure à celle constatée dans la ville italienne de Bergame (+568%!), où la pandémie s’était révélée incontrôlable en mars dernier.
Dans le calme apparent de notre déconfinement, il est tentant de réécrire l’histoire à l’aune de ses conclusions provisoires et partielles, oubliant que son déroulé n’est jamais certain et s’écrit au quotidien. S’il est évident qu’il faille garder un œil critique sur la gestion de cette crise par les autorités, leur reprocher d’avoir fait le choix de la prudence et de la sauvegarde de la vie humaine est une baffe assénée aux centaines de milliers de familles endeuillées de par le monde et au personnel sanitaire qui s’est dépensé sans compter au chevet des malades.