Chroniques

Le renard et le bouc

AU PIED DU MUR

En déclarant, le 20 mars, l’état d’urgence en Israël, Benjamin Netanyahou s’est accordé les pleins pouvoirs. La pandémie de coronavirus lui a donné l’occasion de réaliser son projet de régime présidentiel à la sauce Bolsonaro ou Orban plus vite que prévu. Le mot «gouvernement» a disparu des communiqués officiels et a été remplacé par un «je» dans les adresses quasi quotidiennes du premier ministre à la nation: «j’ai décidé», «j’ai obtenu des équipements», «j’ai convaincu mon ami Trump», etc. Ces allocutions renferment la ­plupart du temps des mensonges éhontés, qui tentent de masquer un système médical en décomposition à la suite de plus d’une décennie de politique néolibérale sauvage et de tentative de destruction du service public.

Le modèle de Netanyahou a toujours été les Etats-Unis. Quand on voit ce qui se passe dans le pays de «mon ami Trump», on ne peut que se réjouir de la résistance acharnée du personnel médical à ces projets destructeurs; médecins et infirmier-ère-es sont, en Israël aussi, les nouveaux héros du peuple et Netanyahou n’éprouve aucune gêne lorsqu’il tente de se faire photographier à leurs côtés, alors que l’ensemble du personnel hospitalier exige l’ouverture, après la crise, d’une commission d’enquête nationale qui débouche sur des procès contre le premier ministre et son bouffon de ministre de la Santé1>Yaakov Litzman est sous le feu des critiques pour une gestion jugée «catastrophique» de la crise au sein de sa propre communauté ultra-orthodoxe, devenue l’incubateur national de la pandémie (AFP)..

Netanyahou est un homme profondément corrompu, qui aime l’argent et le bling-bling; ses véritables conseillers sont sa femme et son voyou de fils, Yair, dont la seule motivation est de conserver le pouvoir et les avantages matériels qui vont avec pour des décennies. Pour Sarah Netanyahou, Yair est le seul dauphin envisageable et tout est bon pour délégitimer toute alternative et tuer dans l’œuf un éventuel successeur au «chef» (c’est le nom que lui donnent ses supporters) de la rue Balfour. Objectif numéro un de la clique Netanyahou: empêcher les trois procès pour corruption et trafic d’influence qui auraient dû s’ouvrir contre le chef il y a plus d’un mois. Le second objectif est de changer le système constitutionnel afin de garantir à Netayahou une immunité et un pouvoir présidentiel à vie.

La corruption morale et matérielle de la famille Netanyahou est telle qu’une très grande partie des citoyens ont fait le choix aux élections législatives de mars de voter pour un quarteron de généraux (la liste Bleu et Blanc) comme alternative, avec à leur tête l’ancien chef d’état-major Benny Gantz. Malgré une campagne électorale mafieuse menée par Netanyahou, Gantz – qui a reçu le soutien de la majorité absolue des nouveaux députés – s’est vu remettre le mandat de former un gouvernement par le président de l’Etat, Reuven Rivlin. Pauvre Gantz: fort contre les faibles de Gaza, il ne fait pas le poids contre la mafia Netanyahou, qui a littéralement acheté certains des députés de son bloc – par des promesses qui ne seront pas tenues –, exercé des chantages contre d’autres et finalement fait éclater son parti. Gantz a donc accepté de rejoindre un gouvernement d’union nationale dont Netanyahou serait le premier ministre jusqu’à une rotation… qui n’aura pas lieu, tout le monde le sait.

Après la signature d’un accord sur ce gouvernement d’union, Netanyahou en a changé les termes (sur le plan judiciaire, crucial pour son avenir) devant un Gantz ébahi. Face à une crapule comme le premier ministre actuel, le novice Gantz fait presque pitié: à l’image du bouc de la fable, qui se fait berner par le renard.2>Le mandat de Benny Ganz était échu sans accord trouvé le 19 avril. Lundi, les deux camps ont annoncé la création d’un gouvernement d’urgence.

Soyons clair: Benny Gantz est un militaire avec beaucoup de sang innocent sur les mains, dont il devra un jour rendre compte devant une cour pénale internationale. Mais les centaines de milliers d’électeurs qui pensaient se débarrasser des pervertis de la rue Balfour en votant Bleu et Blanc ont été littéralement dépossédés de leur vote, parce que l’ex-général en chef s’est avéré être un naïf perdu dans le système politique corrompu de la famille Netanyahou.

Notes[+]

Notre chroniqueur est militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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