Chroniques

Après les applaudissements, reconnaissance et revalorisation

Polyphonie autour de l'égalité

Applaudi tous les soirs depuis les balcons de nos villes, le personnel de santé – en première ligne du front contre la pandémie – est aussi régulièrement qualifié d’héroïque. Les médias reprennent là encore les références guerrières utilisées sans cesse par les politicien-ne-s. Si l’engagement admirable dont font preuve ces professionnel-le-s doit être salué, il faudra aller un peu plus loin que leur décerner des couronnes de laurier symboliques. En effet, une fois la crise passée, reste à voir si ces félicitations et ces remerciements se traduiront par une revalorisation des métiers de la santé, largement féminisés.

Depuis mi-mars et bien que ce fait soit connu, les médias semblent découvrir, indicateurs statistiques à l’appui, que ces métiers sont exercés par des femmes dans la très grande majorité des cas. Que ce soit dans les établissements hospitaliers, les EMS ou encore les soins à domicile. En Suisse, le personnel de santé est majoritairement féminin: les femmes représentent en effet 82% des personnes occupées dans cet univers. Leur part varie selon le métier considéré, 86% parmi le personnel infirmier, 94% dans les soins à domicile et 98% de l’assistanat médical1>Cf. C. Banerjee-Din, D.-Q. Nguyen, «Les femmes en première ligne contre la pandémie », 24 heures, 25 mars 2020..

Ce personnel n’a évidemment pas cessé de travailler – les métiers exercés, déjà nécessaires au bon fonctionnement de la société en temps normal, étant indispensables en temps de crise sanitaire. Or la glorification momentanée dont ces activités font l’objet cache leurs conditions de travail. Certains métiers – pensons aux aides-soignantes, aux aides à domicile, aux assistantes médicales – font partie des plus mal rémunérés, car considérés comme peu ou pas qualifiés. Les compétences qui y sont déployées – empathie, capacités relationnelles – sont vues comme un prolongement des tâches effectuées dans l’univers domestique et, surtout, comme inhérentes à la féminité. Cette naturalisation participe à occulter les dimensions techniques de l’activité nécessaires à son exercice et contribue à sous-estimer la valeur économique de ces métiers.

S’ajoute à cela l’effet des politiques d’austérité appliquées au secteur des soins, avec pour effet une détérioration des conditions de travail. Comme le montrent de nombreux témoignages accumulés depuis des années, les professionnel-le-s expriment un stress lié au fait de devoir faire plus avec moins de ressources, de devoir faire plus vite alors que les situations individuelles des personnes prises en charge se complexifient.

La pression est déjà particulièrement forte en temps normal; dans la situation actuelle où les soignantes sont exposées à la pandémie sur plusieurs fronts, le niveau de stress est à son comble. Confrontées à la maladie dans leur quotidien professionnel, à la crainte de manquer de matériel de protection, elles sont également soumises au risque d’épuisement professionnel, tant physique que mental. Les dispositions de la Loi sur le travail concernant les temps de travail et de repos ont en effet été suspendues pendant six mois par le Conseil fédéral (ordonnance du 21 mars 2020). Il peut leur être demandé de travailler plus de cinquante heures par semaine. Ainsi, la durée du travail pour le personnel de santé appelé à gérer la pandémie ne connaît pas de plafond. Sans parler de la charge mentale liée à l’organisation des activités de garde des enfants à domicile ou dans des structures d’accueil pour celles qui ont des enfants en bas âge, ou de l’organisation de l’école à la maison, pour celles qui ont des enfants en âge scolaire2>Lire la chronique de Miso et Maso, «Derrière le Covid-19, les inégalités sociales», parue le 25 mars 2020..

Cette crise met en évidence l’importance de nombreux métiers de la santé, jusqu’ici mal reconnus et sous-payés. Elle souligne aussi la nécessité de maintenir un système de santé qui ne soit pas paralysé par les coupes et les restrictions budgétaires et qui soit doté d’effectifs suffisants. On parle depuis plusieurs années de la pénurie du personnel soignant. Alors, si tous les soirs, les témoignages de soutien de la population sont nécessaires et émouvants, si tous les articles et les reportages consacrés aux «héroïnes» du Covid-19 nous touchent, cela n’est de loin pas satisfaisant. Il est urgent de revoir notre échelle de valeur et la classification économique des professions, et pas uniquement celle des métiers de la santé. Après la crise, et après avoir identifié toutes ces activités essentielles – les métiers de la santé et du care, les caissières, les livreurs, etc. –, il s’agira non seulement de leur décerner éloges, médailles ou primes exceptionnelles, mais de repenser durablement leur rémunération. Il est temps que les activités indispensables soient mieux rémunérées.

Notes[+]

* Investigatrices en études genre.

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