Chroniques

Derrière le Covid-19, les inégalités sociales

Polyphonie autour de l'égalité

On se l’était juré, on y avait bien réfléchi: pas de chronique sur la pandémie du coronavirus. On s’est dit que cela ferait du bien à tout le monde, nous les premières, de parler d’autre chose. Mais voilà, il faut se rendre à l’évidence, on croise de plus en plus de personnes masquées, on s’organise dans les équipes pour travailler à distance, on se parle par vidéoconférence, on utilise les réseaux sociaux pour faire la pause-café du matin ou l’apéro du soir, on voit des journalistes travailler depuis leur salon. Dès lors, les thèmes que nous pensions aborder sonnent faux, décalés, non pas qu’ils ne soient importants ou pertinents, mais ils ne sont juste pas opportuns en ce moment.

Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour faire une analyse globale de cette crise inédite. Cette chronique se limitera à des éléments partiels, des bribes, toutes ces choses qui nous sautent aux yeux, et dont il faudra reprendre la discussion avec le recul nécessaire dans quelque temps.

L’une des premières choses qui frappent est ce qu’elle révèle de nos sociétés en termes d’inégalités sociales de classe et de genre. Ainsi, lorsque les plus nanti-e-s peuvent tout de suite passer au télétravail et s’isoler dans des appartements ou maisons assez grandes, d’autres doivent poursuivre leur activité sans protection aucune. Quand, enfin, les autorités décident la fermeture des restaurants et bars, salles de spectacles et lieux culturels, la construction, la vente et la livraison de marchandises ne s’arrêtent pas. Parce que l’économie doit tourner malgré tout; la pandémie fait peur, mais pas autant que la paralysie du capitalisme. Et ces travailleuses et travailleurs occupé-e-s dans des secteurs peu reconnus, mal payés, n’ont simplement pas le choix. Le système part du principe que certain-e-s seront sacrifié-e-s, que leur santé peut être mise en danger. Le personnel des grandes surfaces a ainsi travaillé sans protection pendant des jours, sans masque, à proximité des client-e-s, etc.

Ceci n’est que le prolongement de ce qui se passe toute l’année: rappelons ici les conditions de travail déplorables des personnes dans le secteur de la livraison, les maladies professionnelles longtemps non-reconnues des caissières ou encore la pénibilité extrême du travail de chantier (en période de canicule par exemple). Pénibilités que le niveau de rémunération ne reconnaît pas toujours. Alors chaque soir, lorsque nous applaudissons le personnel hospitalier, dont la durée de travail – déjà très élevée – a encore été étendue1>Notre prochaine chronique sera consacrée au personnel de santé., n’oublions pas les autres, celles et ceux qui n’ont pas choisi de se vouer aux autres.

Cette situation met également en exergue les inégalités entre femmes et hommes. Dès lors que les écoles ont fermé, la division sexuée du travail s’est trouvée renforcée avec brutalité. Commençons par le travail éducatif. Combien de témoignages de mères passant une grande partie de leur journée à coordonner les tâches envoyées par les enseignant-e-s à des rythmes différents pour chaque branche, mais aussi à superviser le travail scolaire. Les pères ne sont pas tous absents, mais la charge pèse principalement sur les mères qui, en temps normal, s’occupent davantage des devoirs et du suivi scolaire de leurs enfants. Preuve en est, certain-e-s enseignant-e-s ne communiquent qu’avec elles, comme si elles pouvaient les remplacer au pied levé.

Rappelons également que ces compétences de transmission des savoirs et de soutien scolaire sont inégalement distribuées au sein de la population. C’est un peu comme si nous étions revenues dans les années 1950, avec une stricte division sexuelle du travail. Or, en 2020, si les mères ont encore majoritairement en charge le travail éducatif, elles sont également nombreuses à travailler hors du foyer. Aussi la fermeture des écoles a-t-elle coïncidé avec l’exhortation faite aux entreprises qui en ont la possibilité à ce que leurs employé-e-s effectuent du télétravail. Les femmes qui télétravaillent doivent donc assurer leur job et la télé-école de leurs enfants.

S’ajoute à cela le nerf de la guerre, le travail domestique, dont on sait que la répartition demeure toujours profondément inégale. Imaginons donc ce que ça donne lorsque l’entier de la famille est à plein temps à la maison: préparer davantage de repas, y compris des goûters, organiser l’espace pour que chacun-e puisse travailler, et surtout nettoyer plus et plus souvent. Là encore, certains pères ou compagnons en font davantage que les hommes des générations précédentes, mais jusque-là leur part n’a jamais représenté la moitié du travail.

Dans cette situation, dont on ne sait pas jusqu’à quand elle va durer, les femmes font face à la triple journée: télétravail, travail éducatif renforcé, travail domestique augmenté. Et n’oublions pas le travail du care, le souci et soin à autrui. Dans cette crise, la charge émotionnelle est élevée, il s’agit de rassurer, réconforter, inventer des moyens de penser à autre chose, se changer les idées, mais aussi de veiller, parfois à distance, à ses proches confiné-e-s ici ou ailleurs. Et on vous le donne en mille, qui s’occupe majoritairement de ces tâches dans les familles?

La crise du coronavirus met brutalement le doigt sur nombre d’inégalités sociales. Permettra-t-elle une prise de conscience des inégales répartitions du travail domestique et éducatif, comme semble le penser certain-e-s sociologues ou, au contraire, va-t-elle encore renforcer les inégalités? En effet, l’auto-confinement et le maintien à domicile renvoie chacun et surtout chacune à sa gestion individuelle des rapports sociaux dans l’espace domestique.

Notes[+]

* Investigatrices en études genre.

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