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Les rassemblements pacifiques non autorisés sont protégés par la CEDH

Chronique des droits humains

Alors âgé d’une vingtaine d’années, Monsieur Obote organise une flash mob devant le siège du gouvernement russe, à Moscou. Sept personnes participent à l’action, en recouvrant leurs lèvres de ruban adhésif et en brandissant chacune une feuille de papier blanc. L’action n’ayant pas été annoncée aux autorités, la police disperse les personnes présentes. Monsieur Obote, ayant questionné l’intervention des agents, est amené au poste et reçoit une amende de 1000 roubles – 22 euros – pour «participation à une réunion publique conduite sans autorisation».

Sur recours, la sanction est confirmée par les tribunaux russes. Le militant saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans une décision rendue l’automne dernier, la Cour confirme que la notion de «réunion» employée dans la Convention européenne des droits de l’homme a une portée autonome par rapport aux définitions données par les droits nationaux. La liberté de réunion pacifique, protégée par la Convention, a une portée large et s’applique également à d’autres types de réunions publiques, comme les flash mob, y compris lorsque ces actions n’ont pas fait l’objet d’une autorisation1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 19 novembre 2019 dans la cause Andrey Delionovich Obote c. Russie (3ème section)..

La Cour rappelle ensuite que disperser une réunion et/ou amender les personnes ayant organisé ou participé à l’évènement constitue une restriction de leur liberté de réunion pacifique. Une telle ingérence n’est conforme aux droits fondamentaux que si elle est prévue par une loi, répond à un intérêt public et peut être considérée comme «nécessaire dans une société démocratique» pour la sauvegarde de cet intérêt.

Dans le cas de Monsieur Obote, l’intervention de la police reposait sur la loi russe sur les évènements publics et avait pour but la prévention de troubles à l’ordre public. Selon la Cour, les deux premières conditions étaient donc remplies. S’agissant de la «nécessité» des mesures policières, les autorités russes ont invoqué uniquement l’absence de notification de la tenue de la flash mob et donc le caractère non autorisé du rassemblement. La Cour a rappelé sa jurisprudence bien établie selon laquelle «une situation illégale, comme la tenue d’une manifestation sans autorisation préalable, ne justifie pas nécessairement une interférence dans les droits d’une personne à la liberté de réunion. Si la régulation des manifestations publiques (…) est essentielle pour la bonne conduite des manifestations publiques (…), la mise en œuvre de cette régulation ne peut pas devenir une fin en soi. En particulier, lorsque les manifestant[-e-]s ne s’engagent pas dans des actes de violence il est important pour les autorités de montrer un certain degré de tolérance à l’égard de rassemblements pacifiques». Cela clarifié, les juges ont relevé que rien dans le comportement du requérant ou des autres personnes présentes ne pouvait être décrit comme un appel à la violence ou au rejet des principes démocratiques. Même si elles respectaient le droit interne, la dispersion du rassemblement et l’amende prononcée n’étaient pas «nécessaires dans une société démocratique». Au sujet de l’amende, la Cour a souligné que la liberté de participer à une manifestation pacifique est d’une telle importance qu’une personne ne peut être sanctionnée – même par une simple amende – pour avoir pris part à une réunion qui n’a pas été interdite, tant que la personne n’a pas commis elle-même un acte répréhensible à cette occasion. Pour ces raisons, la Cour a constaté qu’il n’y avait pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre l’ingérence dans la liberté de réunion et le but visé par les autorités russes, soit la prévention des troubles à l’ordre public. La liberté de réunion du requérant a donc été violée.

Trois mille kilomètres séparent Moscou de Genève. L’arrêt Obote c. Russie a toutefois un intérêt certain pour les autorités du canton du bout du lac, dont la loi sur les manifestations (LMDPu) pourrait inspirer des démocraties autoritaires. Premièrement, cette décision rappelle que la liberté de réunion pacifique s’applique à de nombreuses formes de manifestation. Voilà désormais protégées les personnes organisant des conférences de presse devant les bureaux d’un conseiller d’Etat, participant à des «visites guidées» pour découvrir les sièges et les méfaits des multinationales ou décidant de s’asseoir pacifiquement sur le parvis face à un cordon de police. Deuxièmement, la Cour confirme que sont également protégées les manifestations qui ne font pas l’objet d’une autorisation. Justifier une amende pour organisation ou participation à une manifestation du simple fait que cette dernière n’était pas autorisée est un argument désormais aussi inaudible à Genève qu’il l’est à Strasbourg. Troisièmement enfin, pour justifier une ingérence, il ne suffit pas d’invoquer une simple violation du droit interne, comme par exemple la LMDPu. L’autorité devra également prouver l’existence d’un trouble à l’ordre public d’une telle gravité qu’il rendait indispensable et «nécessaire pour un Etat démocratique» de disperser un rassemblement et/ou de prononcer une amende.

Le 23 mars prochain, quatorze manifestant-e-s comparaîtront devant le Tribunal de police de Genève, accusé-e-s d’avoir pris part à un sit-in sur la promenade de la Treille, lors de la grève du climat. Ce sera l’occasion de s’assurer que la jurisprudence de la Cour est bien appliquée par les juridictions genevoises.

Notes[+]

Notre chroniqueur est avocat au Barreau de Genève, coprésident de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Olivier Peter

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