Chroniques

Maltraitance d’enfants institutionnalisée

L'Allemagne vue de là-bas

Des années 1950 jusqu’aux années 1990, jusqu’à huit millions d’enfants auraient été victimes de maltraitance et de violences lors des séjours en «cure» de plusieurs semaines en Allemagne de l’Est ainsi qu’en Allemagne de l’Ouest. L’Initiative Verschickungskinder cherche à faire la lumière sur un système de maltraitance institutionnalisée. Médecins, assurances maladie, caisses de pension et personnel soignant sont profondément mis en cause par ce scandale.

La première revendication de l’Initiative Verschickungskinder (initiative enfants placés), constituée à l’été 2019 par d’anciennes victimes, est la mise en œuvre d’un travail de recherche afin de comprendre ce qui a été infligé à ces enfants – de deux à huit millions selon l’organisation, qui s’exprime par le site www.verschickungsheime.de. Les quelque 1600 témoignages rassemblés permettent d’établir les grandes lignes d’une pratique établie sur l’ensemble de l’Allemagne: envoyés pour plusieurs semaines en cure sur conseil d’un médecin, les enfants ont fait l’objet de violences physiques et psychologiques de la part du personnel médical qui les ont marqués à vie. Les plus jeunes avaient trois ans.

L’expérience de la cure puise ses racines avant la Seconde Guerre mondiale et vise notamment à offrir aux enfants citadins un séjour en campagne ou à la plage, perçu comme des vacances loin des villes en reconstruction. Pour certains, il s’agit d’intervenir – souvent à titre préventif – sur un problème de santé concret: un des objectifs de l’immédiat après-guerre est de leur permettre de prendre du poids. Ce qu’il se passe sur place semble cependant échapper au contrôle des parents comme de l’Office de la jeunesse, et les abus semblent avoir une certaine systématique.

Le personnel soignant aurait fait usage des moyens les plus brutaux pour corriger ce qui était perçu comme des défauts chez les enfants. Au rang des faiblesses sévèrement punies comptait le Heimweh – soit la tristesse d’être loin de la maison –, que les mauvais traitements ne pouvaient que renforcer. Les témoignages des victimes font état de violences physiques graves, allant des privations de nourriture aux châtiments corporels, en passant par des expositions prolongées au froid. Les violences psychologiques semblent, en particulier, avoir été érigées en système: outre l’isolement total d’avec leur famille, les enfants pouvaient être séparés les uns des autres pour de longues durées. L’interdiction d’aller aux toilettes, notamment la nuit, semble avoir été une mesure particulièrement répandue, et des enfants de quatre ans auraient été contraints de nettoyer eux-mêmes leurs draps de lit souillés. Plusieurs victimes évoquent avoir été contraintes à manger de la nourriture qui les faisait vomir, puis à ingurgiter ces déjections. Par ailleurs, les violences physiques et psychologiques entre enfants semblent avoir été acceptées, sinon favorisées – au point où un enfant de trois ans aurait été battu à mort par un camarade de six ans. Enfin, de nombreux indices pointent vers des essais illégaux de médicaments sur les enfants internés.

Le sujet a longtemps été ignoré par le public allemand. Sous l’impulsion de l’Initiative Verschickungskinder, la thématique trouve progressivement une place à l’agenda de la recherche historique. La lumière doit être faite sur les pratiques effectives, sur le rôle des médecins, des assurances maladie et les assurances de retraite: les premiers délivraient la recommandation, et les assurances finançaient les séjours en cure. Un travail minutieux sur les archives de ces institutions est nécessaire afin de déterminer la responsabilité de chaque acteur et, dans la mesure du possible, rendre justice.

Notre chroniqueur est un historien romand établi à Berlin.

Opinions Chroniques Séveric Yersin

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