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Coulisses de la Macronie, coulisses du monde

En coulisse

Pour qui se bercerait encore d’illusion quant à l’impartialité du «moins mauvais des systèmes politiques» (dixit Churchill), la démocratie, on recommande chaudement la lecture du récent ouvrage de Juan Branco Crépuscule1>Juan Branco, Crépuscule, Ed. Au Diable Vauvert, 2019, 312 p.. Branco, jeune avocat français, a suivi le cursus scolaire propre à l’élite française, au cours duquel il côtoya des individus devenus aujourd’hui, de facto, les véritables dirigeants de son pays. Branco nous apprend plusieurs choses.

D’abord que des établissements scolaires, pourtant financés par l’Etat, fonctionnent par cooptation et n’admettent en leurs murs que les enfants de la classe dominante via des critères parfaitement subjectifs, relatifs à la puissance financière et au patronyme. Au sein même de ces écoles, les plus puissants de ces rejetons reproduisent eux-mêmes des divisions de classe, des hiérarchies officieuses, puisque, pour faire illusion, les directions de ces établissements se doivent d’accueillir en leur sein quelques élèves un peu moins riches que d’autres, à qui on fera bien sentir quelle est leur véritable place dans l’échelle sociale interne.

Branco brosse en premier lieu le portrait emblématique d’un de ses congénères, Gabriel Attal, un jeune loup, chef de meute, qui, à peine âgé de 18 ans, s’empresse de draguer la droite, avant d’intégrer le gouvernement «socialiste» de Hollande. Profitant de la décrépitude accélérée du gouvernement Hollande, Attal et ses amis préparent leur prise de pouvoir en s’inscrivant dans le sillage d’un individu tout aussi arriviste et dénué de principes qu’eux, un dénommé Emmanuel Macron.
C’est là que le livre prend une tournure vraiment glaçante. Celui que les médias nous ont décrit comme un président «sorti de nulle part», un outsider miraculeux, se révèle être une machine de guerre façonnée par les plus grosses fortunes de France. Les mentors de Macron sont les richissimes Xavier Niel et Bernard Arnault (l’homme le plus riche du monde au classement Forbes 2020). Ces deux individus ont, outre leurs business juteux tous azimuts, des parts dans la plupart des médias français, afin de bien s’assurer du silence de ceux-ci. Et le résultat est probant.

Nul travail de fond avant celui de Branco n’a mis en avant les liens incestueux entre Macron et ses puissants tuteurs. Macron et ses commanditaires se permettront donc sans vergogne de mentir sur la nature de leurs relations et même sur les dates de leur première rencontre, sans qu’aucun média ne se fende d’une contre-enquête sérieuse. A la lecture du témoignage de Branco, la suppression de l’ISF [impôt de solidarité sur la fortune], la réforme des retraites, la répression des Gilets jaunes et toutes les mesures antisociales prises par le gouvernement Macron sont éclairées d’un jour nouveau.

On se doutait bien que la politique du technocrate Macron était avant tout mue par des réflexes de classe, une conformité à la doxa capitaliste teintée des poncifs pseudo-républicains habituels, mais on n’imaginait pas à quel point l’homme et son gouvernements étaient surtout les agents d’une caste. A quel point la société française elle-même, par sa structure éducative et sociale, permettait cette reproduction toujours plus étroite et implacable de ses élites. A quel point le mensonge médiatique se pratiquait, surtout par omission, reposant sur le socle de la peur et de l’exclusion possible pour tout journaliste un peu trop fouineur. Même le media français le plus remarquable, Mediapart, s’est abstenu de toute enquête sérieuse sur la genèse Macron, car Xavier Niel y possède aussi des parts.

Ce que Juan Branco nous donne à connaître du phénomène Macron et de sa bande est très certainement déclinable dans la plupart des pays du monde. Ainsi on apprend récemment que dans la richissime Suisse, le seuil de pauvreté atteindrait 8%. Qu’un enfant sur dix souffrirait de graves carences scolaires du fait des ses origines sociales. Quant on sait qu’au même instant le gouvernement annonce l’achat d’avions de combat pour des milliards de francs et que les bénéfices des banques, assurances et consorts sont au beau fixe, on ne peut s’empêcher de tracer des parallèles entre les systèmes des deux pays.

A la différence près qu’en Suisse les responsabilités sont toujours diluées, les responsabilités indécelables. Le pouvoir politique incarné par des personnages falots n’offre aucune prise à une enquête du type de celle de Branco, qui lui-même dans son pays est bien isolé. On mesure la difficulté, ici comme ailleurs, de décrypter les rouages de la machine! Plus ennuyeux encore, l’émergence de forces politiques ultraréactionnaires dans le monde incarnées par les Trump, Netanyahou, Bolsonaro, Salvini, UDC et consorts font paraître les Merkel, Macron, Conseil fédéral et autres agents de caste comme des «modérés», garants du «moins mauvais des systèmes politiques». On n’est pas sorti de ­l’auberge.

Notes[+]

Notre chroniqueur est auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Parution récente: Théâtre complet 2011-2107, Ed. Slatkine, octobre 2019.

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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