Chroniques

L’Eglise allemande face à son histoire

L'Allemagne vue de là-bas

L’histoire du XXe siècle occupe une place particulière en Allemagne. La mémoire des deux dictatures fait toujours l’objet de débats profonds, vifs et polarisateurs. La période nazie, et en particulier la manière dont les victimes du régime nazi doivent être commémorées, est au centre de nombreuses controverses qui prennent régulièrement une ampleur nationale. Récemment, des cloches portant des inscriptions à la gloire du national-socialisme ou d’Hitler ont défrayé la chronique: doivent-elles rester en service ou leur place est-elle au musée? La question s’inscrit, plus largement, dans le débat autour du rôle de l’Eglise face à la montée de la droite radicale.

La Citadelle de Spandau, une petite ville intégrée à l’agglomération berlinoise, héberge une exposition reflétant une des vives controverses allemandes sur le patrimoine historique et la mémoire de la période nationale-socialiste. Entourée de quelques panneaux explicatifs, une cloche d’église de cent huitante kilos trône au centre d’une petite pièce. Dans le métal sont gravées deux inscriptions: à la courte phrase «Notre Foi est la victoire qui a conquis le monde» répond, sur le versant opposé, une croix gammée de vingt centimètres de diamètre. La cloche à croix gammée appelait au culte les quelques cinq mille fidèles de l’Eglise réformée de Spandau de 1934 (date de la gravure) à 2017. Elle a été remplacée l’année dernière.

La question du destin de cette cloche a provoqué un long débat au sein de la communauté religieuse de Spandau, avant que la décision de la placer au musée ne soit adoptée. Le point de départ est peu clair: la présence de la croix gammée était connue depuis longtemps, et la question du remplacement de la cloche a été abordée plusieurs fois depuis 1962. La communauté protestante de Spandau avait, à chaque fois, décidé de conserver la cloche, sans livrer de prise de position publique.

La cloche de Spandau n’est pas la seule cloche à croix gammée en Allemagne. Récemment, plusieurs communautés religieuses ont mené le même débat, comme à Herxheim, un village de l’ouest allemand. La petite église protestante abrite une cloche portant l’inscription «tout pour la patrie et Adolf Hitler» et une croix gammée, laquelle a provoqué un débat national entre 2017 et 2019 durant lequel le maire a été démis de ses fonctions. La commune, propriétaire de la cloche, considère que celle-ci constitue un «mémorial contre la violence et l’injustice» et le nouveau maire a quant à lui expliqué que le son peut être perçu comme une «réconciliation avec les victimes de la période nazie». Les fidèles d’Herxheim continuent donc à prier sous la «cloche d’Hitler», comme elle a été baptisée.

Si la question des cloches à croix gammée ressurgit aujourd’hui, c’est peut-être parce que l’Eglise est placée face à son histoire. La relation entre les chrétien-ne-s – protestant-e-s ou catholiques – et le régime national-socialiste est complexe, mais les deux Eglises ont été largement critiquées pour leur manque de résistance face au régime nazi, voire leur adaptation et collaboration active. L’Alternative für Deutschland (AfD), parti de la droite radicale allemande désormais durablement implanté dans le paysage politique, instrumentalise la mémoire de la période 1933-1945 et a régulièrement été comparée au Parti national-socialiste pour ses méthodes et son programme. L’Eglise protestante de Berlin a ainsi publié, en août 2019, une vive critique de l’AfD, qualifiée de parti «du coup d’Etat et de la prise de pouvoir (Machtübernahme)», reprenant ainsi un terme associé à la désignation d’Adolf Hitler à la chancellerie allemande.

Les cloches à croix gammée rappellent que l’Eglise a joué un rôle important durant les pires années de l’histoire allemande. L’Eglise doit livrer un travail de réflexion constant et prendre position claire vis-à-vis de son histoire et vis-à-vis de la montée de la droite radicale, que ses cloches sonnent ou non.

Notre chroniqueur est un historien romand établi à Berlin.

Opinions Chroniques Séveric Yersin

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