Nouveau départ
Il avait fallu quatorze ans pour reconstruire l’Argentine, quatre auront suffi pour la mettre à genoux. Le futur président, Alberto Fernández (Front pour tous, centre gauche), n’aura guère le temps de méditer cet aphorisme (plus ou moins) emprunté à Warren Buffet. Le 10 décembre, l’ancien bras droit de Néstor Kirchner succédera à Mauricio Macri, prenant les rênes d’un pays en déconfiture, où la faim et la misère atteignent des niveaux inconnus depuis l’explosion de colère populaire de décembre 2001.
Le marasme d’alors, provoqué par le pillage de l’économie argentine sous le néolibéral Carlos Menem, n’avait été vaincu qu’après une âpre renégociation de la dette et la reconstruction protectionniste de l’économie nationale. En quatre mandats, Eduardo Duhalde, Néstor Kirchner puis Cristina Fernández avaient stoppé l’évasion de capitaux, repris le contrôle de pans entiers de l’économie, réduit la pauvreté, bâti une fiscalité, redonné confiance aux Argentins.
Un règne non dénué d’ombres mais extraordinairement lumineux si on le compare au désastreux mandat de Mauricio Macri. Outre la faillite sociale, le libéral laisse en effet un Etat surendetté, à la merci du FMI, avec pour seul secteur dynamique les polluantes monocultures agricoles de la «Pampa humeda». Une région qui est d’ailleurs la seule à avoir soutenu majoritairement le sortant dans les urnes.
Ailleurs, c’est un vote clair et franc en faveur du Front pour tous, en particulier dans la cruciale province de Buenos Aires, où triomphe l’économiste de gauche Axel Kicillof. Signe d’une relève assurée mais également de l’importance cruciale des mobilisations sociales dans les conquêtes du camp progressiste. Omniprésents dans la province, les mouvements populaires ont non seulement évité le pire durant quatre ans – libération des tortionnaires de la dictature, libéralisation totale du marché du travail, répression des autochtones, incarcérations d’opposants – mais ils ont aussi maintenu vivante l’espérance d’un renversement rapide du «macrisme».
Dans un continent qui semble hésiter sur la voie à prendre, la victoire d’Alberto Fernández est un nouveau signe du réveil populaire. Puisse-t-elle, au même titre que les mouvements populaires du Honduras, d’Equateur et du Chili, annoncer un nouveau cycle de résistance à la marchandisation du monde.