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Crime, peine et prison: à quoi bon?

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Récemment, un homme a été reconnu coupable d’abus sexuels sur dix-neuf fillettes dans le cadre de ses activités de moniteur de camps et s’est vu condamner à six ans de prison assortis de soins ambulatoires. La peine est trop dure selon certain-e-s, tandis que d’autres ne la jugent pas assez sévère.

Quelle peine serait appropriée pour un tel crime? Cette question occupe les juristes et les réformateurs/trices au moins depuis le XIXe siècle. Avant la prison, la punition était infligée aux corps, avec un degré de violence censé être proportionnel au crime. En 1757, Robert-François Damiens, condamné pour «parricide contre le roi» (régicide), subit un supplice particulièrement atroce, décrit longuement par Michel Foucault en ouverture de son célèbre ouvrage Surveiller et punir. D’abord tenaillé en divers endroits recouverts de plomb fondu, d’huile bouillante, de poix de résine brûlante, son corps est ensuite écartelé par des chevaux. Avant d’être jeté au bûcher et réduit en cendres.

Quelques décennies plus tard, l’invention des prisons modernes inaugure une nouvelle «économie du châtiment». La sentence n’est plus infligée au corps par la meurtrissure, mais par l’enfermement. Au lieu de mutiler, les nouvelles techniques du pouvoir préfèrent rendre docile.

Cette transformation s’inscrit dans son temps. Le libéralisme en plein essor modifie l’utilité sociale des individus. Les penseurs du nouveau système pénitentiaire imaginent les prisons comme des espaces de transformation sociale et prétendent corriger les comportements par un séjour dans une institution carcérale. La prison est donc aussi pensée comme un espace de «resocialisation». Concevoir la réinsertion par la mise à l’écart et l’enfermement n’est pas le moindre de ses paradoxes, puisque tous les aspects de la vie des détenu-e-s diffèrent de celles de la population du dehors. Le ou la détenu-e est soumis-e à une discipline stricte. Sa journée est réglée par un horaire invariable où la majorité de son temps est occupée par le travail. Celui-ci est obligatoire en prison, mais on ne le choisit pas, il ne doit pas entrer en concurrence avec la main-d’œuvre extérieure, il requiert très peu ou pas du tout de formation et ne tient pas tellement compte des aptitudes des personnes. La nourriture est toujours préparée par un tiers et souvent prise collectivement. On ne côtoie pas de personnes de l’autre sexe (à l’exclusion éventuellement des membres du corps de garde). On mange, on vit, on travaille et on se repose avec des dizaines d’autres personnes sauf dans les prisons où le régime cellulaire permet un semblant d’intimité et de solitude. A noter que la plus grande prison pour femmes de Suisse, Hindelbank, ne dispose de cellules que depuis 1965. Auparavant les détenues étaient logées en dortoirs. On ne jouit (presque) pas de libre arbitre en prison; très peu de choix concernant la vie quotidienne sont possibles.

La Suisse dispose d’un code pénal fédéral entré en vigueur en 1942, dont l’élaboration a nécessité une cinquantaine d’années de travaux. Ses rédacteurs ont longuement réfléchi à la qualification des crimes, aux catégories à appliquer aux condamné-e-s, séparé-e-s entre «primaires» et «récidivistes», et à l’utilisation d’autres outils comme la libération conditionnelle et le sursis, car ils avaient à l’esprit le caractère pervertissant de la prison. A côté des peines, ils ont prévu des «mesures» censées favoriser la réhabilitation des personnes enfermées. Ces mesures peuvent aujourd’hui être de nature thérapeutique, mais les établissements pour les mettre en œuvre manquent toujours. La prison est surtout une punition et un espace de non-droit où les détenu-e-s vivent à la merci de l’arbitraire au quotidien, une institution qui échoue à remplir sa mission de resocialisation et de rééducation.

Quel est l’intérêt de ce système pour les victimes? Selon le Tribunal fédéral, «le droit criminel punit pour rétablir l’ordre social troublé par le délit. Il ne tend pas à réparer le dommage causé à la victime»1>Cité par Yvonne Bercher, Au-delà des murs. Témoignage et recherche sur l’univers carcéral suisse romand, Lausanne, 1995, p. 134.. Celle-ci n’apparaît dans la procédure que comme vecteur utile à l’établissement de la vérité. Les victimes demandent pourtant d’être reconnues dans leurs souffrances et d’obtenir réparation, des éléments tout à fait absents du système pénal, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI) en 1993 (dont l’origine est une initiative populaire déposée en 1980!). Si la LAVI a un peu amélioré la situation en créant un lieu où la reconnaissance et la réparation sont possibles, elle n’a pas révolutionné l’approche pénale. La confrontation avec la police, la magistrature et les juges restent souvent des moments fort pénibles pour les victimes.

Notes[+]

Notre chroniqueuse est historienne.

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lundi 15 janvier 2018

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