Chroniques

1791-1804. Du soulèvement des esclaves de Saint-Domingue à l’indépendance d’Haïti

L'histoire en mouvement

Il y a deux cent vingt-huit ans, le 14 août 1791, les esclaves de la colonie française de Saint-Domingue se réunissent dans les montagnes du nord de l’île pour une cérémonie vodou au cours de laquelle ils prêtent serment de lutter jusqu’au bout pour l’abolition du système esclavagiste. C’est une initiative charnière car elle permet aux esclaves de prendre conscience de leur force, tout en dépassant le mythe de l’invincibilité des colonisateurs. Au cours de la cérémonie, les paroles du prêtre Boukman, organisateur du rassemblement, parlent d’elles-mêmes: «Le dieu des Blancs fait ce que le Blanc fait. Le dieu des Blancs commande le crime, tandis que le nôtre sollicite des bienfaits. Pourtant, le nôtre qui est si bon demande notre vengeance: il va conduire nos bras et nous donner assistance. Brisez donc l’image du dieu des Blancs, l’objet de nos larmes. Goûtons la liberté qui est au fond de nos cœurs à tous.»

Pour la première fois dans l’histoire de l’esclavage, un mouvement unifié (différentes tribus et ethnies d’esclaves y participent) prend forme, s’organise collectivement et prépare l’insurrection contre l’homme blanc. La cérémonie est considérée comme l’acte officiel d’initiation de la révolution haïtienne qui débouchera sur l’indépendance de 1804.

Dans les jours qui suivent, toute la région est enflammée par une révolte des esclaves contre ceux qui les avaient asservis. De nombreuses femmes deviennent des héroïnes de la rébellion, dont les guerrières Suzanne «Sanite» Bélair, Marie Jeanne Lamartinière ou encore des prêtresses, véritables leaders, comme Cécile Fatiman. De l’autre côté, la répression est féroce mais insuffisante pour éteindre la flamme de l’émancipation et de la liberté qui brûle dans le cœur de chaque esclave. Avec le temps, l’insurrection se structure et des nouveaux leaders en prennent les rênes. Sous le leadership de Toussaint Louverture, les insurgés prennent le contrôle de l’île, mais des tensions internes rendent néanmoins ce mouvement fragile.

En 1801, dans le cadre des pourparlers de la paix d’Amiens (un traité passé entre les principaux empires coloniaux français, anglais et espagnol), la France bonapartiste décide de revenir en force et reprendre le contrôle de l’île afin d’y rétablir l’esclavage. Cela lui permet dans un premier temps d’inverser le rapport de force. En 1802, Louverture est arrêté et déporté en France. «En me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses.» En effet, sous l’autorité de Jean-Jacques Dessalines, la révolution s’enflamme et parvient, contre toute attente, à vaincre les Français.

En 1804, la première République noire libre du monde est fondée, arrachée avec la détermination d’une population qui s’émancipe de la soumission. Encore aujourd’hui, Haïti est le seul pays francophone indépendant des Caraïbes, région sur laquelle la France conserve son influence via ses dernières colonies (les ainsi nommés territoires ou départements d’outre-mer). Cependant, la petite île ne reste pas exempte des ingérences impérialistes, ayant subi plusieurs coups d’Etat et autres attaques dans les dernières décennies pour sa position stratégique.

La révolution haïtienne est unique en son genre. Elle a donné corps au principe qui a inspiré les grandes révolutions de l’époque (française et étasunienne), à savoir l’affirmation des droits inaliénables et universels de tous les êtres humains1>La Déclaration des droits de l’homme ne concerne alors que les hommes en oubliant les femmes. Il faudra attendre1948 pour que le texte s’applique à tous les êtres humains. en opposition à l’ordre économique et social imposé par la colonisation.

Dans l’historiographie dominante, la Révolution française est reconnue comme l’événement majeur des temps modernes, précurseur des concepts inhérents aux libertés de l’être humain. Or, les colonies françaises restèrent un lieu où la liberté et l’égalité affirmées en 1789 n’ont eu aucune répercussion concrète, au nom des intérêts impériaux.

En prônant la fin de l’esclavage, du colonialisme et l’égalité de tous les êtres humains comme conditions sine qua non pour la libération, la révolution haïtienne a rendu les principes de liberté et égalité universellement conséquents.

Notes[+]

* L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation des peuples opprimés, des femmes et de la classe ouvrière, par l’organisation de conférences et la valorisation d’archives graphiques, info@atelier-hem.org

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