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Histoires de vacances et de trafic aérien

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Aujourd’hui, l’avion est souvent moins cher que d’autres moyens de déplacement, pourtant moins gourmands en énergie et moins polluants. Cette absurdité est due à une logique capitaliste qui met en concurrence différents types de transport, quel que soit leur impact environnemental, et aux avantages obtenus par les compagnies d’aviation il y a septante-cinq ans, à une époque où le trafic aérien était encore peu développé. L’avion est alors réservé à une minorité de personnes et les vacances ne sont pas encore très répandues.

Ce n’est en effet que dans la seconde moitié du XXe siècle que la majorité de la population commence à jouir de vrais congés payés. On part alors à Rimini, camper ou voir la famille, le plus souvent en train ou en voiture. A cette époque, l’avion est trop cher pour la plupart des gens. Le trafic aérien se développe néanmoins et, rapidement, il faut trouver des accords entre les Etats puisque l’aviation civile a la vocation de traverser les frontières. Depuis 1944, la convention de Chicago prévoit d’exempter de taxe le kérosène transporté dans les réservoirs des appareils. Cette exonération est ensuite étendue à l’ensemble du combustible destiné aux avions afin de stimuler le développement du trafic aérien. Cette situation perdure aujourd’hui, les compagnies d’aviation ne paient toujours pas de taxe sur le kérosène.

Parallèlement, le secteur de l’aviation civile connaît une démocratisation très importante qui se reflète dans l’histoire des compagnies. Créée en 1931, feu Swissair dispose de 29 appareils en 1953. Elle symbolise une ère faste où les pilotes jouissent d’un prestige important et sont très bien payés. Première compagnie européenne à engager des hôtesses de l’air dans les années 1930, Swissair s’occupe bien de vous à bord. Le voyage en zoubeille1>Avion en patois genevois. rime alors avec expérience de luxe, réservée à une minorité ou à des grandes occasions. La compagnie prospère et développe des filiales pour devenir la Holding SAirGroup en 1997. Mais au début des années 2000, elle est confrontée à des problèmes de gestion qui mènent au grounding d’octobre 2001. Aucun avion à la croix blanche ne décolle et les cartes de crédit des pilotes sont refusées dans les aéroports. Impossible de remplir les réservoirs des appareils, des milliers de passagers et de passagères restent au sol.

C’est aussi la fin d’un modèle. Désormais, l’aviation change de trend: les nouvelles compagnies misent davantage sur des prix très bas et (presque) plus du tout sur le confort à bord, ni sur la fiabilité ou la sécurité qui étaient les principaux arguments de vente de Swissair. Fondée en 1995, Easyjet propose ainsi de faire du «Hors-piste» cet été et de s’envoler à partir de 35 euros!!! Pour ce prix-là, on va à peine jusqu’à Fribourg en train depuis Genève. Les autres compagnies aériennes ont rapidement imité ce nouveau modèle commercial en restreignant les services à bord, en comprimant les salaires et en réduisant les prix.

Cette évolution a forcément des effets sur la densité du trafic aérien. En 2018, la compagnie orange fait voler 45% des passagers/ères de l’aéroport de Genève, dont la fréquentation a largement augmenté ces trente dernières années. En 1995, plus de 6,5 millions de passagers/ères décollent de Cointrin, contre 17,7 millions en 2018. La légère baisse de fréquentation des mois d’avril et de mai derniers a brièvement été attribuée à une prise de conscience écologiste relayée par les manifestations pour le climat. Mais le mois de juin dément cette hypothèse par une nouvelle hausse par rapport à l’année précédente. Il est intéressant aussi de constater que beaucoup de destinations desservies par l’aéroport de Genève sont atteignables en train (Londres, Paris, Amsterdam, Barcelone, Zurich, Bruxelles, Francfort, Nice, Rome, Vienne, Munich), évidemment pour un coût bien plus élevé. De plus, de nombreux trains de nuit ont disparu… Il est donc difficile pour les chemins de fer d’entrer en concurrence avec l’aviation, puisque le marché offre des conditions plus favorables à cette dernière, le carburant des avions n’étant pas taxé contrairement à l’électricité qui propulse les trains.

Les transformations du secteur de l’aviation depuis 1944 ont rendu possibles le développement du tourisme et des déplacements plus importants pour une beaucoup plus grande partie de la population. Mais à quel prix?

Notes[+]

* Historienne.

Voir: www.gva.ch/fr/Site/Geneve-Aeroport/Publications/Statistiques et «Fatigués, des pilotes d’Easyjet sont en colère», Tribune de Genève, 12.07.2019.

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