Le naufrage
Un renversement phénoménal: arrivée au pouvoir de Mme Thatcher et MM. Reagan et Khomeiny en 1979. Le conservatisme se déclare révolutionnaire. La gauche se bat pour conserver les acquis. Le pro-grès? Mieux répartir les chances et la richesse, viser l’égalité hommes-femmes, être un peu plus solidaires, ne laisser personne au bord du chemin. Maintenant, le progrès c’est laisser chacun se débrouiller et tirer son chapeau à ceux qui ont réussi, même si cela s’est fait par des moyens frauduleux. Ils n’ont pas été pris, ils méritent notre respect. Les puissants se permettent une fraude fiscale massive, des abus rarement réprimés. Le petit peuple n’a aucune raison de ne pas faire de même. L’exemple vient d’en haut. La civilisation pourrit.
Au début du XXe siècle, par exemple, l’Egypte était un paradis. Toutes les cultures, toutes les religions, toutes les langues s’y côtoyaient et vivaient une civilisation remarquable, généreuse, inventive et heureuse. En Europe, sans traité de libre circulation des personnes, chacun pouvait s’installer dans n’importe quel pays. Il n’avait besoin que de gagner sa vie.
Aujourd’hui les démocraties dysfonctionnent. Les journaux appartiennent aux groupes financiers puissants. Les présidents des Etats sont élus lorsque des milliards sont mis à leur disposition. La loi du marché remplace Dieu. Elle crée une guerre incessante entre les entreprises et à l’intérieur de ces entreprises. La glorification de l’égoïsme tient lieu de boussole. Les conceptions identitaires de la nation et de la religion fragilisent les espoirs de paix et anéantissent tout ce que l’humanité a construit de prometteur.
Ce naufrage est transmis à nos enfants et petits-enfants. Même les pays scandinaves sociaux-démocrates qui sortent systématiquement en tête de toutes les comparaisons internationales se laissent entraîner par cette mouvance identitaire et frileuse. Où sont les signes d’espérance?
Pierre Aguet,
ancien conseiller national (VD)