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Les Etats doivent se conformer aux arrêts de la CEDH

Chronique des droits humains

Dans l’ordre juridique interne, les décisions des tribunaux sont immédiatement appliquées, notamment par les forces de l’ordre. Tel n’est pas le cas des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe ne possède pas de police propre qui pourrait intervenir directement sur place. Les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont pour seule mission, dans le cadre du contentieux qu’ils arbitrent, de vérifier que les Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme respectent les engagements qu’ils ont pris en la signant. Un constat de violation est essentiellement déclaratoire. Cependant, en signant la Convention, les Etats se sont également engagés à se conformer aux arrêts de la Cour dans les litiges auxquels ils sont parties.

L’Etat condamné doit non seulement verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer les conséquences. L’objectif est de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention.

Dans le système mis en place initialement par la Convention, c’est le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui est chargé de surveiller l’exécution des arrêts. Les Etats sont tenus de fournir au Comité des Ministres une information complète et à jour au sujet de l’évolution du processus d’exécution des arrêts qui les lient. L’Etat condamné reste en principe libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour. En outre, le choix de ce moyen doit avoir été effectué de bonne foi par l’Etat condamné.

La Cour a condamné à quelques reprises la Suisse pour n’avoir pas exécuté de bonne foi un de ces précédents arrêts. Ainsi, dans un arrêt du 28 juin 2001, la Cour avait déclaré que le refus des autorités suisses de diffuser à la télévision un spot publicitaire d’une association vouée à la protection des animaux, contre l’expérimentation animale et l’élevage en batterie était contraire à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention. L’association s’était par la suite heurtée au refus des autorités suisses, en particulier du Tribunal fédéral, de revenir sur leurs précédentes décisions et d’autoriser la diffusion de ce spot publicitaire. La Cour a alors à nouveau condamné la Suisse pour violation de la liberté d’expression1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 30 juin 2009 dans l’affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse n. 2 (Grande Chambre).

Le 22 mai 2008, la Cour avait condamné la Suisse pour violation du respect de la vie privée et familiale en application de l’article 8 de la Convention pour avoir prononcé l’expulsion d’un jeune Turc pour une durée indéterminée, sans prendre en considération toutes les circonstances du cas, notamment la solidité des liens en Suisse et leur absence de solidité en Turquie. A la suite de cet arrêt, les autorités judiciaires avaient remplacé l’expulsion pour une durée indéterminée par une expulsion d’une durée de dix ans. Saisie à nouveau, la Cour a estimé que la Suisse n’avait pas respecté son arrêt de 2008, que le Tribunal fédéral aurait dû purement et simplement annuler avec effet immédiat la mesure d’expulsion ou, à tout le moins, qu’il aurait dû examiner de manière beaucoup plus complètes toutes les circonstances du cas concret exposé dans cet arrêt2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 octobre 2011 dans l’affaire Emrah Emre c. Suisse n. 2 (2e section) .

Depuis le 1er juin 2010, le système de contrôle des arrêts de la Cour a été complété. Une majorité de deux tiers du Comité des Ministres peut demander à la Cour soit d’interpréter un de ses arrêts qui pose difficulté, soit faire constater que l’Etat condamné ne respecte pas son obligation de réparer.

Le 29 mai dernier, la Cour a pour la première fois dû trancher une telle question. Elle a constaté que l’Azerbaïdjan n’avait pas respecté l’obligation qui lui incombait de se conformer à un de ses précédents arrêts. Le 22 mai 2014, elle avait en effet condamné cet Etat notamment pour violation du droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 § 1 de la Convention), du droit à un contrôle juridictionnel de la détention (art. 5 § 4 de la Convention), de la présomption d’innocence (art. 6 § 2 de la Convention) pour avoir mis en détention provisoire un blogueur et militant politique, juste après avoir annoncé son intention de se présenter aux élections présidentielles de ce pays. Ultérieurement, ce militant a été condamné à sept ans de prison. La Cour considère que l’obligation de réparer imposait à l’Etat de lever ou d’annuler les accusations et de mettre un terme à la détention provisoire du requérant. Il ne pouvait ainsi pas être condamné ultérieurement sur la base de ces accusations3>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 29 mai 2019 dans l’affaire Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan (Grande Chambre).

Notes[+]

L’auteur est avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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