Chroniques

Le prix de la vie

(Re)penser l'économie

Dans une chronique récente, je traitais du rôle joué par l’industrie pharmaceutique dans les politiques de la santé, avec ses conséquences sur la mortalité de tel ou tel groupe de malades, en raison de l’arrêt ou de la suspension de la production de certains médicaments pour des raisons purement économiques.

Une enquête menée par la RTS1>«Le juteux marché des médicaments contre le cancer», RTS, Mise au point du 17 février 2019 et Bluewin info du 18 février 2019. dévoile les marges considérables réalisées par des transnationales pharmaceutiques sur certains médicaments anticancéreux. Ainsi, l’Herceptin de Roche, un médicament contre le cancer du sein, est vendu 2095 francs l’unité, soit 42 fois son coût de fabrication. En tenant compte des coûts de recherche et de distribution, la marge reste considérable: elle est estimée par la RTS à 85%! C’est une marge similaire dont bénéficie Novartis sur le Glivec. D’après l’université de Liverpool, la boîte de Glivec coûterait 30 francs à la production alors qu’elle est vendue 2592 francs. En intégrant les frais de recherche et de distribution, la marge s’élève également à 85%.

Ce que l’enquête ne dit pas, c’est que lorsque l’on parle des coûts de la recherche, il faudrait encore distinguer ce qui ressort, d’une part, des frais de recherche engagés directement par les firmes pharmaceutiques et, de l’autre, des résultats d’études en provenance de centres de recherche financés par des fonds publics et dont les pharmas ont pu bénéficier. Le secret des affaires permet à ces firmes de ne pas dévoiler la composition exacte des coûts de production intégrant l’entier des frais de fabrication.

On sait, par exemple, que pour être commercialisé, un médicament doit subir une série de tests afin de vérifier son efficacité et ses éventuels effets secondaires. Depuis de nombreuses années, ces tests, autrefois réalisés dans les pays développés, sont aujourd’hui conduits le plus souvent dans des pays en développement à des coûts bien inférieurs et avec des contraintes éthiques discutables.

Le prix très élevé de ces anticancéreux a des conséquences sur la progression des coûts de la santé. Il est de bon ton d’accuser les patients d’être à l’origine de cette hausse: ceux-ci consulteraient trop, ce qui entraînerait la multiplication d’actes médicaux inutiles. C’est sur cette affirmation que les Chambres fédérales avaient l’intention de décider de la hausse de la franchise minimale à la charge du patient dans l’assurance-maladie de base en la faisant passer de 300 à 350 francs et, surtout, de l’adapter automatiquement à l’évolution des coûts de la santé, lesquels augmentent bien plus rapidement que l’inflation. C’est ce que l’on appelle «responsabiliser le patient», selon la droite du parlement.

Cette proposition a échoué – provisoirement – en raison du renoncement de l’UDC, année électorale oblige sans doute… Bien entendu, cette hausse de la franchise aurait touché prioritairement les bas et moyens revenus, lesquels, en général, consultent moins, ou plus tardivement, que les hauts revenus.

Pour en revenir au prix des anticancéreux, la RTS montre qu’entre 2014 et 2018, le montant du remboursement de ces médicaments par la seule assurance de base est passé de 603 à 931 millions de francs, soit une hausse de 54%. Il est dès lors nécessaire de s’interroger sur les mécanismes qui conduisent à la fixation des prix de ces médicaments sans aucun rapport avec leur coût de production.

Interrogé lors de l’enquête, un porte-parole de Roche a déclaré que «les prix des traitements ne sont pas basés sur les investissements pour un traitement en particulier, mais sur les bénéfices qu’ils procurent aux patients et à la société dans son ensemble». Par ailleurs les prix seraient déterminés également par le nombre d’années de vie supplémentaires dont bénéficie le patient.

Tout est dit. Les transnationales du médicament fixent les prix en fonction de l’espérance de survie des personnes atteintes d’un cancer. Elles monétarisent tout simplement la vie pour leur plus grand profit.

Notes[+]

L’auteur est membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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lundi 8 janvier 2018

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