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En coulisse

Tout a été dit sur la folie génocidaire en cours au Moyen-Orient depuis plus d’un an, à laquelle nous assistons avec désespoir et dégoût. Et pourtant, difficile d’écrire sur un autre sujet. Par quel biais aborder encore cette séquence sidérante de double déshumanisation (celle des victimes à l’existence piétinée et celle des bourreaux qui par leurs actes s’extraient eux-mêmes de l’humanité)?

Sur la psyché des bourreaux, le mystère reste total: comment expliquer le fascisme? Des ouvrages savants s’y sont consacrés. Tentons ici d’examiner, modestement et imparfaitement, les soutiens aveugles à Israël en commençant par ses appuis helvètes. Les conseillers nationaux qui ont voté pour la suppression de l’aide à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, ne sont pas des extra-terrestres; ce sont des citoyennes et des citoyens genevois, vaudois, bernois… élu·es au suffrage populaire, des député·es de proximité dans la tradition de nos parlements de milice. On les croise dans les agapes communales, les cocktails culturels, les sympathiques fêtes des vendanges; on partage parfois un verre de blanc avec eux dans le grand bain de la tolérance inhérente au confort démocratique de notre société bourgeoise. En coupant les fonds à l’UNRWA, ces représentant·es au sourire bonhomme signent purement et simplement l’arrêt de mort de milliers de personnes. En soutenant aveuglément l’Etat d’Israël, elles et ils participent de facto aux meurtres, tortures, viols de milliers de femmes, hommes et enfants palestiniens et libanais. La banalisation du mal chère à Hannah Arendt est bel et bien à l’œuvre. Le fonctionnement de nos propres sociétés s’en voit totalement chamboulé. Il ne s’agit plus là de divergences d’opinions au sein du champ démocratique, mais de la conception première du respect de la vie et du droit international, bafoués dès qu’il s’agit de victimes arabes.

Car c’est bien le racisme anti-arabe qui est à l’œuvre derrière le soutien passif ou actif, aveugle ou conscient, à la machine génocidaire israélienne. Un racisme dont les racines et ressorts sont multiples, solidement ancrés en Occident, et nourri par des groupes d’influence aux moyens considérables. L’état du paysage médiatique en France ou en Allemagne (sans oublier la Suisse et sa très critiquable RTS) illustre à merveille la standardisation de la déshumanisation des Arabes; de l’omerta des JT mainstream devant les massacres quotidiens, au tapis rouge déroulé en continu aux porte-parole du génocide sur CNews, LCI, BFMTV – qui, au passage, partage ses locaux parisiens avec la chaîne de propagande israélienne i24 news –, la saturation est totale. Le rouleau compresseur de la propagande dévide sa rhétorique mensongère, négationniste et haineuse en toute impunité.

Les classes politiques dominantes française, allemande, américaine ou suisse se vautrent elles aussi, sans faiblir, dans la complicité de génocide depuis le 8 octobre 2023. Comment une telle décomplexion dans la négation d’autrui est-elle possible? Il faudrait un livre entier pour démêler les racines de ce racisme atavique. Une des genèses lointaines réside sans doute dans les croisades chrétiennes à l’échec mal digéré, mais surtout dans les grandes entreprises coloniales des XIXe et XXe siècles, dont le sionisme est un avatar particulier. Une des conditions premières de ces conquêtes résidait dans la négation du colonisé. Malgré les avancées démocratiques, technologiques, diplomatiques des deux derniers siècles, les fondamentaux n’ont pas bougé. Les Arabes restent dans l’inconscient occidental ce non-être à dominer, dont les revendications et les révoltes sont autant d’insultes à l’ADN du bourgeois blanc, qu’il soit bavarois, texan, londonien, genevois ou berrichon.

La machine à créer de l’islamophobie sous couvert de laïcité radicale, portée par les Charlie Hebdo, Caroline Fourest et consorts en France ou leurs équivalents falots de Suisse et d’ailleurs, a alimenté la déshumanisation des Arabes. Les François Hollande, Elie Barnavi, Delphine Horvilleur et autres «humanistes» analogues au profil respectable qui peuplent les pages de l’Obs ou de L’Express, sionistes soi-disant modéré·es, ami·es «critiques» d’Israël, pseudo partisan·es d’une solution à deux Etats, ne tolèrent les Arabes que soumis. Leurs faux discours sur la paix ont toujours constitué des leurres destinés à faire passer les refus de soumission des Palestinien·nes pour de l’extrémisme. Ils ont pavé la voie à l’extrême-droite génocidaire dont ils sont le complément présentable.

Cette même extrême-droite israélienne peut compter sur le soutien sans faille de ses pairs européens (UDC, RN, AfD…) ou américains, mais aussi sur la droite «classique» et sur une bonne partie de la «gauche» social-démocrate, autrement dit sur la quasi-totalité du champ politique. Le silence des institutions culturelles est lui aussi assourdissant au sein de nos sociétés occidentales, bien éloigné de la mission première de l’art. C’est que, dans ce contexte aussi, Palestinien·nes et Libanais·es ont le grand défaut d’être arabes. Il faudrait aussi parler du monde académique, économique et scientifique, mais la place manque. Rappelons pour finir les condamnations et censures diverses qui s’abattent sur les citoyen·nes ou rares politicien·nes osant appeler un chat un chat et un Etat génocidaire comme tel. La complaisance occidentale envers le racisme et le fascisme n’a pas seulement des conséquences insupportables au Moyen-Orient; elle gangrène nos sociétés et menace nos libertés. Libérer la Palestine c’est aussi nous libérer nous-mêmes.

*Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

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lundi 8 janvier 2018

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