«Chez Extra, viande noire au meilleur prix»
Un jeune de 19 ans mort étouffé dans l’enceinte d’un supermarché de la zone ouest de Rio de Janeiro. Cela s’est produit le 14 février. Pedro Henrique Gonzaga n’aurait pu constituer qu’une victime supplémentaire dans un pays qui tue un-e jeune racisé-e chaque 23 minutes si son cas n’avait pas suscité sur les réseaux sociaux une réaction d’une ampleur jusque-là méconnue au Brésil.
Interpellé par un agent de sécurité du magasin alors qu’il terminait ses courses en compagnie de sa mère, il a été plaqué au sol. Une vidéo de la scène, filmée par un passant, montre le vigile allongé sur lui qui le tient par le cou, au milieu des protestations des clients. Evoquant la légitime défense face à l’instabilité et l’agitation du jeune, le surveillant a pu quitter le poste de police le lendemain, en échange d’une caution de 10’000 reais (2700 francs suisses).
L’impunité du vigile blanc face à une victime racisée, ainsi que les caractéristiques du lieu où l’attaque a été commise ont conduit à l’émergence d’une vague de solidarité dans le pays. Le supermarché, une filiale de la chaîne Extra, est localisé à Barra da Tijuca, un quartier résidentiel de la banlieue bourgeoise de Rio de Janeiro. A prédominance blanche et aisée, ce quartier est connu pour être le lieu de résidence du président Jair Bolsonaro. Il s’agit d’un espace où le racisme structurel se manifeste de façon violente.
Repris par les principaux médias brésiliens, l’homicide a également bénéficié d’une caisse de résonance importante sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram et Facebook. Dans les jours qui ont suivi, des manifestations devant diverses filiales d’Extra du pays ont été organisées via Facebook pour dénoncer les crimes commis envers les personnes racisées. Des appels au boycott se sont également répandus, propagés par des mouvements sociaux antiracistes et des militants des droits humains.
Sur Instagram, une importante communauté de designers graphiques brésiliens ont produit et partagé des visuels. Des logos de la chaîne de supermarchés ont notamment été détournés dans le but de dénoncer le caractère raciste de l’attaque, d’autres jouant sur des slogans choc tels que «Viande noire au meilleur prix chez Extra». Ces visuels ont été largement repris et partagés, en particulier par la communauté urbaine. Durant 24 heures, le format des stories, très populaire, a ainsi réussi à conscientiser un large nombre de personnes dans un laps de temps très court. Les visuels accrocheurs, relayés par divers médias alternatifs ou des mouvements sociaux tels que #VidasNegrasImportam (les vies noires importent) ont provoqué un effet boule de neige.
A l’instar des évènements ayant récemment marqué le pays – élection de Bolsonaro, rupture du barrage de Brumadinho –, les artistes visuels et designers brésiliens réussissent à jouer un rôle-clé dans l’actualité nationale en suscitant une mobilisation massive sur les réseaux sociaux, via des éléments graphiques simples qui suscitent un partage rapide d’informations critiques sur des plateformes largement utilisées par une population jeune et connectée.
La répercussion que l’homicide raciste du supermarché Extra a eu en ligne semble constituer un phénomène persistant depuis un certain temps au sein de la jeunesse brésilienne ultraconnectée. Ainsi, au Brésil, un réseau social visuel peut constituer un espace permettant l’émergence de mouvements spontanés ou sociaux plus larges.
L’auteur est étudiant en science politique à l’université pontificale catholique de Rio de Janeiro.