Soleure, le cinéma suisse et les Romands
Jeudi débute la grand-messe du cinéma suisse. Dans les frimas de fin janvier, les traditionnelles Journées de Soleure dérouleront leur vaste panorama de films récents: 165 courts et longs métrages pour cette 54e édition (du 24 au 31 janvier). La manifestation est hélas peu fréquentée par les Romands. C’est loin, Soleure. Et déjà dans les salles, de ce côté-ci de la Sarine, le cinéma suisse ne déplace pas les foules. La production nationale y réalise environ 20% de ses entrées. Et sur désormais près de 300 titres distribués chaque année en Suisse, pour une part de marché avoisinant 5%, une centaine seulement sont visibles sur les écrans romands. Parmi eux, peu de réalisations alémaniques. Les films romands y trouvent a priori plus facilement leur public.
Le cinéma suisse n’existe pas, diront d’ailleurs les sceptiques, en paraphrasant l’anathème provocateur de l’artiste Ben. Il y a des films alémaniques, romands ou tessinois, destinés en priorité au public de leur région linguistique. Vrai, et faux. Il ne faut pas nier une tendance avérée au cinéma de proximité, focalisé sur des réalités locales. Mais quels qu’ils soient, les films suisses parlent de nous, de ce qui nous distingue ou nous réunit malgré tout. Ils renvoient des images multiples du pays ou témoignent d’un regard propre sur le monde. Dans le documentaire, de part et d’autre du Röstigraben, ils perpétuent une tradition reconnue à l’étranger. Ces trois cinémas dialoguent entre eux et parfois ne font qu’un. Y a-t-il plus suisse que Le Génie helvétique ou L’Expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron? Faut-il rappeler que le Genevois Jacob Berger et le Lausannois Germinal Roaux ont fait tourner Bruno Ganz, dans Un Juif pour l’exemple et Fortuna?
Enfin, plus que d’autres, le cinéma suisse est ouvert sur le monde. Et les meilleurs films, d’ici ou d’ailleurs, sont à l’évidence universels. Comme le démontrent plusieurs longs métrages de la nouvelle sélection soleuroise, déjà sortis en salles ou vus en festivals: Eldorado de Markus Imhoof, Genesis 2.0 de Christian Frei, L’Apollon de Gaza de Nicolas Wadimoff, Insulaire de Stéphane Goël ou – pour citer une fiction – Ceux qui travaillent d’Antoine Russbach. Tout citoyen un tant soit peu cinéphile devrait donc, au moins une fois, aller faire un tour aux Journées de Soleure. Pour réviser quelques préjugés, s’intéresser à des longs métrages alémaniques qui resteront inédits sur les écrans romands. Pour découvrir un septième art helvétique bien vivant. Et revenir avec l’envie de voir plus souvent des films suisses, dans une salle près de chez soi.