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Good news

Mauvais genre

Oui, les nouvelles sont bonnes; et Metin Arditi avait bien raison de s’en réjouir dans Le Matin dimanche du 14 octobre. Car le Journal Télévisé devrait quitter Genève pour la région lausannoise, rejoignant le Campus où la Radio Télévision Suisse romande prévoit de s’installer sur des terrains de l’Ecole Polytechnique Fédérale. Celui qui se présente comme «écrivain, envoyé spécial de l’Unesco pour le dialogue interculturel», mais s’est illustré comme homme d’affaires naguère actif dans l’immobilier avant de devenir «membre du conseil stratégique» de ladite EPFL, ne pouvait qu’abonder dans le sens de ce que la RTS décrivait elle-même, en 2013 déjà, comme le fruit d’une «réflexion stratégique».

Une stratégie donne aisément lieu à des explications. Arditi nous les livre, de manière très pédagogique, il faut le reconnaître. Il passe assez rapidement sur les économies que représenterait le déménagement dans de mêmes locaux pour la radio et la télévision: ce genre d’arguments, on le sait, sert ordinairement à faire passer toutes les pilules. Il en avance un autre, beaucoup plus percutant: «ce regroupement permettra à l’information de la RTS d’aller dans le sens de l’Histoire, d’atteindre une taille critique qui la mettra en situation plus compétitive dans le monde des grands médias.» On reconnaît souvent aux écrivains, même quand ils ne sont pas des Rimbaud, un certain côté visionnaire. Quand l’homme de lettres peut se targuer en outre, comme c’est le cas d’Arditi, d’une excellente formation scientifique doublée d’un instinct aigu pour les affaires, force est de s’incliner devant son aptitude à discerner «le sens de l’Histoire», dans une perspective qu’on pourrait qualifier de néodarwinienne. La RTS a longtemps détenu le quasi-monopole de l’information par le son et l’image dans nos régions; elle ignorait la concurrence, s’imaginait sans rivale, et aussi neutre que le pays lui-même. Il lui faudra connaître l’affrontement, mettre de son côté tous les moyens de l’emporter dans cet univers où seul le meilleur gagne; rejoindre enfin le mouvement de l’Histoire tel qu’il se dessine depuis des temps immémoriaux, et plus que jamais depuis la chute du mur de Berlin, qui a rendu sa liberté toute naturelle à un monde des médias libéralisé.

Ce qui aura aussi son incidence sur les employés de cette grande entreprise qu’est désormais la Société Suisse de Radiodiffusion et Télévision. Dans ces convergences sur le même site de l’EPFL, les journalistes «trouveront l’occasion d’un enrichissement professionnel. Ils en ressortiront – s’ils le souhaitent, si un jour il le faut – bien plus attractifs aux yeux d’un autre employeur.» C’est encore de compétition qu’il s’agit ici. Arditi ne fait que glisser une hypothèse entre tirets; mais la connaissance du sens de l’Histoire nous rend plus affirmatifs: il faudra bien qu’un jour les journalistes formés par une RTS qui reste plus ou moins étatique, en sortent, par la grande ou la petite porte, pour rejoindre des médias privés concurrents, fût-ce sous la contrainte des charretées de licenciements qui s’annoncent. «Good news», en effet, M. Arditi, du moins pour ces «autres employeurs».

Mais le plus intéressant est sans doute ailleurs: dans le type d’informations qui semble nous être promis. Les journalistes croient encore trop souvent pouvoir mener leurs enquêtes à leur façon, forme et contenu. L’environnement dans lequel ils auront dorénavant à travailler les aidera à mieux s’orienter, et surtout à mieux orienter auditeurs et téléspectateurs. On n’ose guère à présent leur donner des conseils: ils y voient aussitôt de la malignité, des tentatives de manipulation. Mais la proximité avec une institution aussi respectable que l’EPFL ne peut que lever tous les doutes, et les bonnes suggestions sauront se faire entendre. Il y a ce qu’Arditi appelle «le village Ecublens», soit les start-up qui y fourmillent et permettront «d’établir des liens de proximité avec la nouvelle économie, la nouvelle industrie, les grandes aventures du siècle, dont les dimensions sont à la fois scientifiques, économiques et sociétales». Toutes les Grandes Ecoles aujourd’hui nouent des relations avec ce monde aventureux – Le Courrier du 12 octobre évoquait ainsi le récent partenariat entre l’UBS et la Haute Ecole de Gestion de Fribourg. L’EPFL a une bonne longueur d’avance en ce domaine: on se souvient peut-être des contrats passés en 2007 avec Merck-Serono, qui, contre le financement de trois chaires d’enseignement, autorisaient la firme pharmaceutique à exiger des «modifications acceptables» aux résultats des recherches avant leur publication. Et j’aime à voir, sur certaines de ses pages en ligne, la liste des sponsors, comme la Chambre vaudoise de commerce et d’industrie ou «l’Association touristique Porte des Alpes» qui contribuent à la promotion des sciences. Dans un tel cadre, nul doute que l’information radiotélévisée sera à bonne école.

* Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

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lundi 8 janvier 2018

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