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Justice genevoise: un très très gros malaise

Un groupe de sympathisants à la cause d’Ayop Aziz, venu soutenir le jeune requérant d’asile convoqué au Tribunal administratif le 11 octobre dernier, s’est vu limiter l’accès à la salle d’audience. L’ancien député Roger Deneys, qui en faisait partie, exprime son indignation.
Genève

Après quinze ans passés au Grand Conseil pour servir Genève, ses citoyen-ne-s et tous ses habitants, je ne m’attendais pas à vivre un jour un événement aussi honteux et indigne de notre République, du fait de la justice genevoise. En tant que député, j’ai toujours été soucieux de défendre les intérêts et les valeurs de Genève, convaincu de la noblesse universelle des idéaux de notre République. Et de voter, en mon âme et conscience, des projets pour le bien de Genève et de ses habitant-e-s, confiant aussi dans l’adhésion d’une majorité de nos concitoyens à ces valeurs démocratiques et humanistes. Mais, jeudi 11 octobre, en tant que citoyen, je dois dire que je suis tombé de très haut.

En effet, alors que nous étions une vingtaine d’amies et d’amis d’Ayop – le jeune requérant d’asile tchadien qui s’était blessé en sautant par la fenêtre du troisième étage lors de l’incendie du foyer des Tattes – pour assister à son audience au Tribunal de première instance, la police est venue prêter main forte aux huissiers afin de nous empêcher de nous rendre en salle d’audience. Impossible d’entrer. Impossible d’assister à l’audience. Il semble que la juge ait décidé, avant même la tenue de l’audience, d’en interdire l’accès au public. Ben voyons, pour un requérant d’asile qui pourrait être renvoyé…

On peut penser ce qu’on veut des lois en vigueur. Mais il me semble ici essentiel de rappeler que, dans ce qui distingue une dictature d’une démocratie, l’accès libre et public aux tribunaux est fondamental; c’est une disposition indispensable pour garantir des procès dignes et équitables, éviter les collusions et décisions iniques caractérisant les pires dictatures. L’opinion publique libre, citoyenne, est, avec une presse libre et indépendante, une dimension inaliénable de la démocratie. Et de la Suisse.

Me voir confronté par la décision unilatérale d’une juge à une iniquité qui viole mon droit de citoyen d’assister à une audience me choque. En tant que député, j’ai toujours défendu mes choix au nom de la liberté et de la dignité humaine et je ne peux comprendre qu’en 2018, le résultat de mes engagements ait pu mener à une telle parodie de justice. C’est véritablement indécent.
Pire que cela, la juge semble avoir décidé unilatéralement de n’accepter ensuite que trois ami-e-s d’Ayop à l’audience. Pourquoi trois? Aucune explication, rien. Un mur. De policiers. Et, alors qu’il restait de la place dans la salle d’audience, il semble que ce ne soit qu’après une intervention vigoureuse de l’avocat d’Ayop rappelant des dispositions légales, que la juge a daigné accepter cinq personnes supplémentaires dans la salle.

On croit rêver! Interdire, à Genève, l’accès du public à une audience au préalable, sans même avoir eu à constater que le public cause le moindre trouble, c’est inconvenant. S’agissant du cas d’Ayop, demandeur d’asile qui a suscité un large mouvement de sympathie après le tragique incendie des Tattes, cette décision préliminaire, imposée pour essayer de prendre des mesures de contraintes en catimini, entre notables égoïstes et bien-pensants, est encore plus choquante. D’autant que certains échos de l’audience sembleraient indiquer que des propos volontairement incomplets, voire mensongers, aient été tenus pour discréditer Ayop.

La justice en catimini, avec des témoignages de fonctionnaires assermentés à charge, et en réalité inexacts, contre une personne qui n’a pour ainsi dire aucun moyen de se défendre, je dois dire que j’en suis profondément écœuré! Nous devrions toutes et tous penser qu’au-delà de ce cas choquant, nous pourrions aussi bien être la prochaine victime de telles pratiques, si nous ne faisons pas partie du cercle des nantis pour lesquels on se gargarise à longueur de journée de la présomption d’innocence.

Cette parodie de justice est une véritable honte pour Genève. J’espère que nous serons nombreuses et nombreux à ne pas l’accepter!

Roger Deneys est ancien député au Grand Conseil de Genève.

Lire M. Jaquet, «Ayop: la justice reste inflexible», Le Courrier du 12 novembre 2018.

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