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Même pas peur de la mobilité du capital!

Le projet de réforme de l’imposition des entreprises procède d’une stratégie de minimisation fiscale menée aux dépens du service public et «confirme le vieux modèle d’affaires suisse qui consiste à profiter du capital que les gens ont produit ailleurs dans le monde», selon Dominik Gross.
Projet fiscal 17

L’institut privé de recherche économique BAK Basel établit chaque année une liste des pays où les taux d’imposition des entreprises sont les plus bas au monde. En 2017, seul Hong kong se plaçait devant les «meilleurs» cantons suisses. La liste du BAK Basel montre que la Suisse est loin d’être une «free rider» inoffensive dans la compétition fiscale internationale, comme le prétendent le Conseil fédéral et une large majorité du parlement. Elle est plutôt une des locomotives qui tirent la fiscalité des entreprises vers le bas.

Tout comme la Réforme de l’imposition des entreprises III (RIE III), clairement rejetée par le peuple en février 2017, le Projet fiscal 17 vise à remplacer les vieux régimes fiscaux spéciaux pour les multinationales, qui ne sont plus tolérés par le G20, l’UE et l’OCDE, par de nouveaux. Les patent boxes 1>Les patent boxes («boîtes à brevets») sont un régime fiscal privilégié accordé aux entreprises pour localiser leurs brevets, recherche… dans un pays donné (source: www.glossaire-international.com/) et autres instruments vont continuer à permettre aux multinationales de ne pas taxer les profits là où ils sont réalisés, mais en Suisse, pays à la fiscalité douce. En raison de cela, les cantons de Suisse centrale et romande, notamment, ont de plus en plus de peine à financer leurs écoles, hôpitaux, rails et routes. Le canton de Lucerne, par exemple, a déjà dû accorder à ses élèves une semaine supplémentaire de vacances pour faire des économies et, à Neuchâtel, on a enlevé une heure à l’école secondaire.

Le problème est qu’avec sa stratégie de fiscalité douce pour les multinationales, la Suisse n’amincit pas seulement le plan d’études de ses jeunes, mais surtout le substrat fiscal dont beaucoup de pays du Sud ont un besoin urgent. Parce que les multinationales des matières premières déplacent leurs profits d’une mine de cuivre congolaise dans une fiduciaire du canton Zoug, par exemple, les pays en développement perdent chaque année 200 milliards de dollars de recettes fiscales potentielles.

En Suisse, on argumente volontiers que les régimes fiscaux spéciaux sont nécessaires pour freiner la pression à la baisse sur les taux d’imposition réguliers. Mais cet argument manque d’évidence empirique: premièrement, plusieurs cantons ont déjà annoncé vouloir appliquer tous les régimes fiscaux spéciaux prévus par le Projet fiscal 17 et baisser aussi très nettement les taux d’imposition réguliers. Deuxièmement, une étude empirique de l’économiste californien Gabriel Zucman (The Missing Profits of Nations) montre que, pour les entreprises qui s’intéressent à autre chose que le déplacement du profit, le taux d’imposition n’est pas déterminant dans le choix du siège. Cela ne sert donc à rien de baisser les impôts pour retenir les entreprises. Au contraire: ce sont les recettes fiscales qui permettent de financer d’autres facteurs importants comme le niveau de formation, les transports ou l’offre culturelle.

Zucman montre aussi que les régimes fiscaux spéciaux pour les multinationales sont des incitations à déplacer leurs résultats comptables là où elles peuvent économiser le plus d’impôts. Donc la peur suisse de perdre des places de travail si on met fin au dumping fiscal est infondée. Derrière ce mythe, qui a politiquement beaucoup de succès, il n’y a que les intérêts des multinationales et de leurs actionnaires. Zucman a aussi calculé que les pays qui attirent beaucoup de profits étrangers sont aussi ceux qui accueillent de nombreuses entreprises étrangères dont les profits sont beaucoup plus élevés que le montant total des salaires de leurs employés. Ceci n’est possible que par l’afflux de capital étranger. En Suisse, ce pourcentage se situe, en moyenne, à plus de 300%. Ce n’est qu’à Puerto Rico, en Irlande et au Luxembourg qu’il est plus élevé. Dans la plupart des autres pays, il est nettement en dessous de 50%.

Si la Suisse voulait vraiment arrêter la spirale vers le bas de la fiscalité des entreprises, elle aurait, en tant que place financière et commerciale mondiale de premier plan, quelques instruments de politique économique à disposition. Mais on en est loin: dans le deal fiscal sur l’AVS se cache une réédition pure et simple de la RIE III échouée. Il confirme le vieux modèle d’affaires suisse, qui consiste à profiter du capital que les gens ont produit ailleurs dans le monde.

Le Conseil national peut encore refuser le fameux deal. Pour respecter la pression internationale qui demande d’éliminer les vieux régimes fiscaux spéciaux, le Conseil fédéral et le parlement peuvent les biffer tout court à la session d’hiver, sans remplacement. Les multinationales vont avoir encore le temps de s’adapter à la nouvelle donne. Déjà maintenant, on prévoit des mesures de transition pour les entreprises, pratiquement incontestées au niveau politique. Un changement de paradigme dans la politique fiscale suisse donnerait un signal clair, au niveau international, pour sauver la planète du changement climatique, vivre ensemble de façon créative dans des sociétés de migration et façonner un Etat démocratique qui préserve la liberté et l’égalité de ses citoyens en les partageant.

Notes[+]

Dominik Gross est responsable politique fiscale chez Alliance Sud, Swissaid/Action de Carême/Pain pour le prochain/Helvetas/Caritas/EPER.

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