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La ségrégation vestimentaire

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Vous avez remarqué les banquiers, comme ils souffrent de la canicule, dans leur costard-cravate sombre fripé dans le dos… La même coupe sinistre, dans les meilleures étoffes pour les grands chefs, ratée par des tailleurs bangladais pour les derniers guichetiers ou les vigiles. Et pas seulement les banquiers: tous les «grands» de la finance, du commerce, de la politique. Même les femmes! En perçant dans des professions d’où elles furent longtemps exclues, elles ont d’abord brisé les codes vestimentaires mais tendent à s’y habiller aussi moche et impersonnel que les mâles.

Les gens les plus puissants et les plus riches du monde, ceux qu’on imaginerait libres de faire ce qu’ils veulent dans la vie, à commencer par la façon de s’habiller, sont les plus contraints, les plus coincés dans leur rôle. Kim Jong Un, quelques iraniens et cubains sont sans doute les derniers militants anti-cravate de la politique – le cas des tenues traditionnelles africaines ou orientales est différent, parfois lié à des normes encore plus strictes. Bien sûr, les historiens ont tout écrit sur l’origine des ségrégations vestimentaires, depuis les uniformes et autres habits professionnels jusqu’aux diktats de modes aussi débiles que d’acheter des pantalons déchirés, qui montrent la raie des fesses ou risquent de tomber à chaque accroupissement.

Ce qui étonne, c’est l’enthousiasme avec lequel les foules suivent ces prescriptions de commerçants avides, de «créateurs» dont le «génie» consiste à inventer n’importe quoi, pourvu que ça ne dure pas, et de «stars» prêtes à le porter, pourvu que ça paye. Et des millions de gens se retrouvent déguisés, tatoués, piercés, quitte à le regretter grave peu d’années après, quand la mode aura changé. On rencontre bien, de temps en temps, des gens qui s’habillent autrement et de manière plus esthétique. Mais, dans la plupart des cas, il s’agit de contre-cultures alternatives, aussi prescriptives, pas d’initiatives individuelles. Et ce jusque dans les camps naturistes formels où le «textile» peut être interdit… quand il fait assez chaud!

Le respect des codes d’habillement traduit le besoin frénétique de la plus grande partie de la population de s’intégrer dans un ou des groupes sociaux et la détermination de ces derniers à exclure qui ne se soumet pas aux codes, entre autres vestimentaires. Récemment, un député français non cravaté a, dans la fièvre de son discours sur un sujet capital, laissé sortir sa chemise de son pantalon. Il avait déjà été lourdement amendé pour port de T shirt par le président (ex-vert!) de l’Assemblée nationale. Le chœur des médias-godillots a fait le buzz sur le pan de chemise, sans retenir un mot de ses arguments, détaillés et très gênants pour le pouvoir!

Il faut croire que les riches et les puissants vivent dans l’angoisse de perdre la face et leur rang en permanence pour des raisons de codes, vestimentaires et autres, plus que pour les erreurs, fautes et truanderies professionnelles qu’ils pratiquent à longueur de journée. Paraître, représenter devient plus important que penser ou faire. Et l’idée que s’habiller différemment, si l’on en a envie, relève d’une liberté individuelle ne les effleure pas.

Les plus alternatifs de ce monde ne manquent pas de rallier la majorité quand leur ambition, leur intérêt ou leur déchéance le commande. Je pense aux scientifiques déguisés en pingouins devant le parlement suédois pour recevoir le Nobel, au patron de Facebook lâchant ses pulls pour un costard étriqué devant les parlementaires US, ou au gorille-barbouze de Macron, usurpateur violent d’insignes policiers, soudain relooké, endimanché, rasé et cravaté pour tenter de passer pour l’innocent qu’il n’est pas…

Il est étonnant que des sociétés qui prétendent aux libertés individuelles comme valeurs fondamentales imposent des rituels vestimentaires archaïques ou désuets, formels ou informels, sous peine d’exclusion sociale. Alors que c’est un des domaines où la liberté est la plus simple à accorder.

 

* chroniqueur énervant

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lundi 8 janvier 2018

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