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Savoir sans croire?

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Les apprentissages d’une vie humaine débutent, comme ceux de n’importe quel mammifère, par une série de conditionnements par récompense et punition. Le nourrisson, sans doute déjà le fœtus, recherche ce qui est agréable, fuit ce qui est désagréable et proteste s’il ne peut pas fuir. C’est comme ça que la culture s’impose à lui, sans aucune conscience d’enjeux ou d’alternatives possibles. C’est ainsi que s’apprennent les rythmes journaliers, les goûts alimentaires, les gestes que l’on doit faire ou éviter, les interactions avec les proches, les codes de communication non verbale, puis le vocabulaire d’une langue qui devient maternelle.

Les éducateurs·trices imposent des choix abruptement, même si c’est en douceur, et ces choix primaires marquent à vie. Ce n’est pas par hasard que la plupart des religions veulent contrôler le cadre familial pour imposer leurs arbitraires dans ce conditionnement précoce et par voie affective. Ce, bien avant tout impact de leurs propagandes et d’argumentations qui peuvent révéler leurs fondements douteux. Le problème est que les petits enfants sont curieux. En particulier dès qu’ils ou elles commencent à maîtriser la parole et comprennent l’intérêt des questions commençant par «Pourquoi». Les enfants en posent alors tellement que les plus patient·es des éducateurs·trices finissent par clore la discussion par un «Parce que!» sans issue, brutal et autoritaire. Parce que l’on ne peut pas les laisser faire tout et n’importe quoi – traverser la rue en courant, plonger dans la rivière glacée, escalader le balcon au septième étage,… – et parce que les décisions dans l’urgence ne laissent pas le temps d’expliquer.

L’enfant apprend alors, avec des succès variables, à se soumettre à l’autorité, à un ordre culturel incompréhensible et à céder devant des répressions injustifiées. En parallèle, elle ou il apprend par cœur les règles de grammaire les plus incohérentes, ridicules ou sexistes, les tables de multiplication, comment survivre et agir sous l’effet de la pesanteur ou comment gérer ses flatulences en société. Jusqu’au jour éventuel où il ou elle rencontrera, par hasard ou par éducation, les bases de l’esprit critique et de la philosophie des sciences. Qu’il ou elle pratiquera souvent comme la prose de Monsieur Jourdain, sans savoir que c’en est! De ce jour l’enfant, l’ado, l’adulte, selon les cas, n’admettra plus que ses pourquoi, ou du moins les plus pressants d’entre eux, restent sans réponse. Dans les domaines où elle ou il s’interroge, les injonctions et les affirmations gratuites ne suffiront plus. Des preuves, des confirmations, des explications seront exigées, menant tout droit à la pensée scientifique et au rejet des hypothèses et théories contredites par l’observation ou l’expérience.

Le problème est de savoir pourquoi cette démarche qui, sur le papier, semble aller de soi, n’est pas poursuivie jusqu’au bout par la plupart des gens, lesquels conservent tant de croyances aberrantes en des faits irrationnels, des mythes improbables ou des histoires sans queue ni tête, racontées par des gourous abusant de psychotropes. Un début de réponse à cette interrogation est fourni par Edward T. Hall qui fait remarquer que notre propre culture nous cache beaucoup de choses. Ce qui n’est pas étonnant puisque qu’elle nous a conditionné·es sans que nous en soyons conscient·es. Elle est donc admise comme un postulat incontournable, un peu comme ces axiomes arbitraires, mais nécessaires à la construction des plus rigoureuses mathématiques.

L’analyse de notre propre culture est donc la phase la plus difficile de la recherche sur nos comportements: la raison et l’esprit scientifique s’y heurtent aux puissantes barrières affectives mises en place par notre inconscient et par des dizaines de générations de conditionnements efficaces, sélectionnés par les cultures. C’est ce qui explique que, comme le commun des mortel·le·s, les plus remarquables scientifiques possèdent des zones obscures qui leur font accepter n’importe quelle tradition ou superstition, empreintes ineffaçables de leur stade préverbal.

* Chroniqueur énervant.

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