Édito

La barbarie «de gauche» d’Ortega

La barbarie «de gauche» d’Ortega
Le 4 juillet, une chaîne humaine longue de plus de trois kilomètres demandait la démission du président Daniel Ortega. KEYSTONE
Nicaragua

Le mouvement social continue à braver la répression au Nicaragua. Après les manifestations importantes de la semaine dernière, des milliers de protestataires formaient mercredi encore une chaîne humaine entre Managua et Masaya pour réclamer le départ du président, Daniel Ortega. Les évènements de ces trois derniers mois ont révélé l’ampleur de la déchéance d’un gouvernement se réclamant encore de l’héritage socialiste sandiniste. Acculé par la rue, qui s’opposait à une énième réforme néolibérale, celle des retraites, le président et son clan ont choisi la voie de la violence: on dénombre plus de 230 morts et 1300 blessés, principalement dans les rangs des manifestants.

Cette répression meurtrière – appelons les choses par leur nom – a abasourdi la plupart des militants internationalistes sandinistes en Europe et en Suisse. Puis leur a décillé les yeux. Nombre d’entre eux ont partagé avec ferveur l’expérience révolutionnaire authentique des années 1980, puis ont cru à une renaissance des idéaux humanistes, égalitaires et solidaires lors de la réélection de Daniel Ortega à la tête du pays en 2006. Leur déception est à la hauteur de leurs espérances.

Certains refusent encore de se rendre à l’évidence. Pourtant, le gouvernement dirigé par le couple Ortega est devenu autoritaire, clientéliste et opportuniste, et a fait main basse sur les pouvoirs exécutif et législatif. Sur le plan économique, il a appliqué, en alliance avec la droite, le consensus de Washington: dérégulations, fiscalité régressive, privatisations, etc. On a même assisté à un phénomène de reconcentration de la propriété de la terre, battant en brèche les aspirations sandinistes de réforme agraire.

Certes, surtout durant ses premiers mandats, dans le vent de la bonne conjoncture économique, le président a lancé plusieurs mesures sociales, en matière de lutte contre la faim, d’accès au logement ou de crédits pour les plus pauvres; l’accès à la santé et à l’éducation s’est aussi amélioré. Mais, faute de programme économique et social véritablement progressiste et d’ampleur, la pauvreté n’a guère reculé, malgré la forte croissance dont a bénéficié le pays durant plusieurs années.

«Oui, mais c’est cela ou le retour de la droite dure au pouvoir et de la domination US», rétorquent certains partisans d’Ortega, passant outre l’indécence de défendre un régime criminel. Ces cercles «pragmatiques» devraient plutôt s’interroger: faut-il soutenir un gouvernement «de gauche» car il adoptera (peut être encore) quelques mesurettes sociales et fera «moins pire» que l’oligarchie traditionnelle? Ou devrait-on, patiemment, construire un pouvoir populaire et démocratique par le bas, seul à même d’imposer les réformes nécessaires, voire – pourquoi pas – une révolution aboutie? En attendant, aujourd’hui, l’expérience «orteguiste» donne de (mauvais) arguments à ceux qui prétendent montrer que tout mouvement politique progressiste est voué à l’échec, voire à la barbarie.

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