Soins centrés sur le patient: peut mieux faire!
Ces derniers temps, deux histoires de prise en charge médicale dans le canton de Neuchâtel qui m’ont été rapportées m’ont interpellé.
La première concerne une femme âgée, souffrant d’une maladie chronique, vivant dans le Val-de-Travers avec son mari. Au bout d’une hospitalisation de quelques jours en soins aigus à Neuchâtel, l’équipe médicale, pensant avoir stabilisé la situation, l’envoie en réhabilitation au Val-de-Ruz. La patiente doit malheureusement être admise à nouveau en soins aigus puis, sans concertation, elle est envoyée en réhabilitation au Locle. Elle recevra une facture de 140 francs/jour de son assurance, qui n’aurait pas donné son aval à ce transfert.
La deuxième histoire concerne une autre femme âgée admise en orthopédie à Neuchâtel pour une douleur à la hanche qui l’empêche de se déplacer. Après des examens pertinents, on élimine heureusement une fracture du col du fémur et on lui dit qu’elle doit rester internée quatre jours, durant lesquels elle bénéficiera de physiothérapie et d’un traitement médical. Mais après deux jours, un samedi, on lui apporte une ordonnance et on lui annonce qu’elle peut sortir. Ceci sans qu’aucun physiothérapeute ne l’ait vue, parce que son «cas» ne relève plus de soins aigus. Personne ne lui demande où elle vit, ne se préoccupe de connaître son réseau familial ou social qui pourrait l’aider, et encore moins de mettre en place un suivi par le service des soins à domicile – d’ailleurs quiconque travaille dans les soins sait que ce n’est pas un samedi à midi que l’on peut organiser des prestations ambulatoires proposées par les centres médicosociaux (CMS).
Dans ces deux situations, on peut dire que, du point de vue biomédical, ces deux patientes ont été bien prises en charge: c’est sans conteste une des forces de notre système de soins. Néanmoins, dans chacun de ces cas, on peut observer des failles qu’il vaut la peine de discuter.
Pour notre première patiente, la décision de sortie de l’hôpital de soins aigus s’est faite en fonction certes de son état de santé, mais aussi des places disponibles dans les hôpitaux de réhabilitation, sans égard à son lieu de vie ni à la présence de son entourage. Celles et ceux qui connaissent un peu la géographie du canton de Neuchâtel comprendront très vite la difficulté de passer du Val-de-Travers au Locle en transports publics, qui plus est pour une personne âgée. D’ailleurs, la famille n’a pas été associée dans les décisions prises par le corps médical, mais mise devant le fait accompli, une fois le transfert effectué! Et que dire de sa surprise lorsqu’on lui a appris, après coup, que l’assurance demandait une participation de 140 francs/jour, considérant qu’il s’agissait d’un lieu d’hébergement et pas de soins… selon les rapports médicaux à sa disposition!
Pour notre deuxième situation, les médecins, dans une logique purement biomédicale, ont estimé qu’une sortie était possible, car des soins aigus n’étaient plus nécessaires. Sans se poser la question de la fragilisation possible de la patiente, liée à son hospitalisation, et se sont même insurgés, dans un premier temps, lorsque la famille a osé poser la question du suivi ambulatoire et du réseau de soins et d’accompagnement à mettre en place.
Cela doit nous rappeler que le système de santé, avec le vieillissement de la population et l’amélioration des soins, va être de plus en plus confronté à des gens qui souffrent de maladies chroniques et qui doivent, comme nos patientes, être hospitalisés, puis retourneront à la maison ou dans un autre lieu de vie. Pour ces populations, des filières de soins sont essentielles, avec une bonne coordination entre les différents intervenants, en essayant de préserver au mieux non seulement les besoins médicaux, mais aussi sociaux, relationnels et affectifs. Une sortie d’un centre de soins aigus ne devrait pas pouvoir être faite sans réunion avec ceux qui vivent avec ou entourent le patient. Et tant pis si la sortie a lieu un jour plus tard.
Cela passe par l’éducation des médecins et la mise en place d’une véritable coordination des soins chroniques autour du patient, dans son lieu de vie. C’est par ce biais que les prises en charge des personnes vulnérables et fragiles pourront être optimisées, que l’on pourra éviter ou retarder l’aggravation des problèmes de santé et diminuer le risque d’hospitalisation ou d’hébergement en institution. Les systèmes de santé doivent donc progressivement se réapproprier une vision de la santé dans la communauté, tout en maintenant une excellente performance des dispositifs stationnaires (hôpital et hébergement).
Ceci était le but, scientifiquement irréfutable, de la régionalisation de l’organisation sanitaire voulue par le Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud en 2017: mais les chantres de la médecine libérale y ont vu une étatisation, là où l’objectif n’était que mettre vraiment le patient au centre du dispositif sanitaire!
* Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.