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Alireza, on ne t’oublie pas

À votre santé!

C’est par ces mots que commençait un « discours » prononcé au nom de Solidarité Tattes (groupe de soutien aux demandeurs d’asile genevois) lors d’un festival organisé par des réfugiés le 10 décembre dernier à Genève. Il était alors rappelé les conditions de logement difficiles qui prévalent au foyer de l’Etoile à Genève, pour ne pas dire plus, le manque d’encadrement social, l’absence de lieux de réunion où pourraient se nouer une vie communautaire. Alireza est mort.

Je ne connaissais pas ce jeune homme, et pourtant je veux aussi dire « on ne t’oublie pas ». Cette fin tragique met en lumière de manière caricaturale les limites du dispositif migratoire mis peu à peu en place depuis maintenant de nombreuses années où l’analyse des situations individuelles de chaque requérant ressemble de plus en plus à une application d’algorithmes déshumanisés, quoique les autorités peuvent en dire. Et pour moi médecin, comme pour mes collègues du MASM, une des dérives les plus inquiétantes est le mépris (ou pour le moins la non prise en considération) trop fréquent(e) du Secrétariat d’État aux Migration (SEM )des certificats médicaux : pour Alireza, peut-être encore plus que pour tout autre -et hélas ils sont nombreux- des médecins, y compris travaillant pour le service public, attestaient d’un risque suicidaire important en cas de renvoi, particulièrement en Grèce où son vécu était le plus traumatisant, dans son long parcours migratoire avant d’arriver en Suisse. Cela n’a pas ébranlé le SEM et d’ailleurs la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter , cheffe du Département fédéral de Justice et Police (DFJP) -s’appuyant il est vrai sur une décision du Tribunal administratif fédéral- a déclaré au parlement qu’un risque suicidaire n’était pas forcément une raison pour surseoir le renvoi d’un requérant débouté. C’est grave parce que, par cette attitude, le SEM touche de manière frontale à l’éthique médicale dans ce qu’elle a de plus profond : soutenir le patient lors de fragilités, l’aider à retrouver la santé et surtout savoir reconnaître les facteurs de risque de rechute et les prévenir. N’est-ce pas ce qu’on demande au médecin ? C’est nier le bien-fondé du jugement médical et de la défense du patient. Et l’autorité politique n’a-t-elle pas comme mandat de veiller au bien de tous ? La non prise en compte de certificats médicaux semble partir du principe idéologique qu’ils sont établis « par complaisance » par des médecins opposés au dispositif migratoire mis en place. C’est une offense à la profession qui devra probablement être portée devant la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine ou la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM). Rien d’illégal, me direz-vous, mais où est l’esprit de Dunant et des conventions de Genève de 1951 ?

Dans le cas d’espèce, les autorités politiques doivent répondre et s’expliquer de manière étayée sur la pesée d’intérêt qu’elles ont fait, d’autant plus que leur décision a entraînée le décès prévisible de Alireza.

Une décision d’autant plus incroyable en 2022 où le peuple suisse a montré une solidarité extraordinaire envers les réfugiés ukrainiens. Non seulement officielle, avec des permis S obtenus d’emblée et permettant éventuellement de trouver du travail et d’avoir une certaine stabilité tellement nécessaire, mais aussi de la population générale, puisque plus des 3 quarts des requérants ukrainiens sont logés dans des familles d’accueil ou des appartements individuels. Sans compter l’effort fait par les médecins installés (généralistes et pédiatres) pour la prise en charge médicale de cette population fragilisée et traumatisée ou encore l’effort extraordinaire des écoles pour intégrer les enfants (1 réfugié ukrainien sur 3 est mineur!). Pour avoir travaillé pendant 6 mois à la mise en place d’une prise en charge médicale des enfants ukrainiens dans le canton de Vaud, je peux attester de l’effort collectif extraordinaire qui permet aux familles ukrainiennes de se sentir accueillies et soutenues. Les témoignages recueillis montrent à l’envi que la migration est toujours douloureuse, angoissante d’autant plus qu’il y a toujours des proches restés au pays qui continuent à vivre le calvaire, et qu’un minimum de stabilité est essentiel pour « aller de l’avant »….et aucun de mes certificats médicaux n’a été mis en question : on cherchait ensemble la meilleure solution ou pour le moins « la moins mauvaise » dans un échange fructueux. Et tout cela, sans que cela ébranle la stabilité suisse !

Alors pourquoi s’acharner sur Alireza ? Ce n’est pas lui qui a mis en émoi les structures d’accueil fédéraux et cantonaux cette année, ce n’est pas lui qui a posé le moindre problème à la société civile suisse .

Est-ce juste parce qu’il n’était pas ukrainien ?

Cela aussi pose une question éthique.

A reprendre en 2023….en attendant bonne année à toutes et tous !

Un autre monde est possible…mais il se construit.

Le Dr Bernard Borel est membre du MASM.

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lundi 8 janvier 2018

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