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Droit des enfants et santé

À votre santé!

Dans le quotidien des médecins, et des pédiatres en particulier, la question du droit des enfants n’est pas franchement débattue. Mais la vaccination contre le Sars-Cov-2 des moins de 16 ans l’a remise en avant. Il est largement admis que les jeunes dès 16 ans ont la maturité suffisante pour décider par eux-mêmes de l’opportunité ou non d’un traitement, et donc d’un vaccin. Au moins depuis 1986, en Suisse, les textes de lois disent qu’à cet âge «la présomption de discernement doit jouer en faveur de l’adolescent comme pour l’adulte».

Pour les plus jeunes, il existe un vrai champ de tension entre la capacité de discernement et l’obligation de protection des enfants, assurée prioritairement par les parents. Le droit suisse n’a pas fixé de limite d’âge qui correspondrait au discernement. Il a maintenu une grande flexibilité combinant les questions d’âge, de maturité, de compréhension, de capacité de différenciation et d’abstraction orale, même si, dans la pratique, un large consensus admet que cela se situe aux alentours de 10-12 ans.

Dès lors, nous nous trouvons dans un domaine assez souple, où le discernement de l’enfant doit être apprécié au cas par cas, en relation avec sa situation personnelle. Du point de vue des droits de l’enfant, cela représente un avantage du droit suisse par rapport à d’autres systèmes basés exclusivement sur l’âge de l’enfant. Mais cela rend parfois l’appréciation plus difficile. Dans le cadre médical, la décision revient au médecin traitant (donc aussi celui qui vaccine), éventuellement à un collège de médecins ou à une autorité de protection.

La capacité de discernement confère à l’enfant une autonomie certaine qui surpasse donc la question de l’autorité parentale. Un principe qui s’applique également dans le domaine de la santé. La Suisse reconnaît par conséquent le droit de consentir ou non à un traitement à l’enfant capable de discernement, ce qui lui donne un statut de «pré-majorité médicale».

Permettez-moi de prendre un exemple: une jeune fille de 15 ans vient en consultation parce qu’elle a peur d’être enceinte – ayant eu une relation sexuelle en principe protégée, elle a un retard de règles. Ses parents ignorent tout de cet amour qui dure déjà depuis quelques mois. Comme médecin, vous devez, dans l’intérêt prépondérant de la patiente, exclure une grossesse et ensuite lui laisser le choix de la décision si elle est véritablement enceinte. Bien sûr, il est toujours plus simple de pouvoir associer les parents et, malgré les résistances initiales, on y parvient le plus souvent. Mais il existe des familles où c’est impossible et le secret médical prime.

Je pense à un autre exemple, où un enfant de 12 ou 13 ans souffrant d’un cancer devait, pour avoir la moindre chance de s’en sortir, subir un traitement lourd, mais l’un des deux parents s’y opposait: il a été admis que, dans la mesure où l’enfant avait été bien informé et avait donné son aval, le traitement pouvait être entrepris.

Ceci dit, il est important, même avec un enfant très jeune, de respecter le droit d’être entendu. L’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) explicite que nous devons «garantir à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité». Il faut expliquer les procédures et les traitements dans un langage compréhensible et s’assurer que l’enfant a compris ce qui importe pour elle ou lui – qui n’est parfois pas du tout du même ordre que nos préoccupations d’adultes – et qu’il ou elle donne son aval. C’est évidemment beaucoup plus facile si l’on a aussi convaincu les parents, qui sauront mieux que quiconque trouver les mots pour accompagner leur enfant dans un parcours de soin.

Dans tous les cas, il est essentiel pour les adultes de «se décentrer» et de considérer avant tout le point de vue de l’enfant. Le pire est quand ce dernier ou cette dernière est l’enjeu d’une «lutte de pouvoir» entre les parents et les médecins ou «le système de santé», ou plus habituellement entre les deux parents, mettant l’enfant dans un conflit de loyauté parfois plus délétère que l’accord ou le désaccord sur le traitement ou la vaccination. Equilibre parfois difficile, mais nécessaire, où le dialogue est plus important que l’affirmation intangible de «valeurs».

Faut-il en conclure que le droit de l’enfant à la protection en est diminué? A l’évocation de situations particulières telles que décrites, le décideur a l’obligation de mettre en balance le droit de consentir/refuser et le droit de protection, en utilisant alors l’instrument que constitue l’évaluation et la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel qu’énoncé à l’art. 3 al. 1 CDE.

En effet, il est bon de rappeler que grâce à la CDE, depuis 1989, l’enfant est un sujet de droit et les parents ne peuvent pas simplement évoquer leur autorité parentale pour «clore le débat». Même pour les vaccinations.

* Pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.

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lundi 8 janvier 2018

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