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En Afrique, le tourisme médical des élites coûte cher

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

En Europe, et bien entendu en Suisse, nous avons le privilège de pouvoir disposer d’hôpitaux publics performants, dotés d’un personnel qualifié, accessibles à toutes les classes sociales. A tel point qu’on oublie le plus souvent que ce qui paraît aller de soi dans notre pays relève le plus souvent du rêve inaccessible sous d’autres cieux.

Sur le continent africain par exemple, celles et ceux qui le peuvent – présidents, ministres, députés, pris en charge par l’Etat, et autres membres de la classe aisée – filent en Europe, aux Etats-Unis ou à Singapour pour se faire soigner. Une prise en charge médicale à deux vitesses, qui est devenue une sorte de norme dans l’inconscient collectif des populations de ces pays.

C’est ce qui explique l’écho qu’a reçu le mois dernier l’annonce par les autorités du Niger que, «pour montrer le bon exemple, il a été décidé que désormais, les ministres et les députés ne feront l’objet d’évacuation aux frais de l’Etat que dans la mesure où les prestations concernées ne peuvent être fournies par l’Hôpital général de référence». Et le ministre de la Santé publique, Idi Illiassou Maïnassara, d’ajouter, après avoir vanté les mérites d’un personnel local hautement qualifié, qu’avant toute évacuation sanitaire à l’extérieur du pays, l’Hôpital de Niamey donnerait son avis concernant «la nécessité ou pas de faire recours aux hôpitaux étrangers».

En filigrane, la volonté des autorités du Niger de réduire la facture des évacuations sanitaires à l’étranger, qui a coûté en 2016 quelque 7,5 millions d’euros à l’Etat. Alors que dans le même temps, le président du Niger, Mahamadou Issoufou, inaugurait, en août 2016, l’Hôpital général de référence à Niamey, financé par la Chine à hauteur de 68 millions d’euros, disposant d’une capacité de 500 lits ainsi que d’une douzaine de blocs opératoires.

«Le Niger montre la voie», a aussitôt titré L’Observateur Paalga, le quotidien d’information du Burkina Faso, qui espère «que nos autorités en prendront de la graine, ne serait-ce qu’en pensant à ériger un centre de santé de bonne qualité». Tout en rappelant que «pas un mois ne passe sans qu’on apprenne par les canaux officiels ou officieux qu’un bonze de l’Etat est parti dans tel pays, la plupart du temps occidental, pour se soigner ou pour, excusez du peu, un check-up, entendez par là un bilan de santé. Et aux frais du contribuable!» Quant au site d’information Seneweb, il a aussitôt titré: «Evacuations sanitaires des ministres: et si Macky [Sall, président du Sénégal] imitait Issoufou du Niger?».

Une petite révolution. Car c’est, semble-t-il, la première fois qu’un gouvernement africain demande à ses responsables politiques de se faire soigner dans leur propre pays avant de songer à une évacuation sanitaire en Europe. Une pratique courante au sommet des Etats: la plupart des présidents embarquent en direction de l’ancienne métropole au moindre bobo. Les élites francophones se pressent dans les meilleurs cliniques et autres hôpitaux militaires de la région parisienne. Tandis que les «en-haut d’en haut» d’Afrique anglophone s’envolent en toute discrétion du côté de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, mais aussi de l’Afrique du Sud.

Il y a tout juste deux ans, un article choc publié sur le site Le Monde Afrique, intitulé «Présidents africains, pourquoi ne restez-vous pas mourir au pays?», avait braqué ses projecteurs sur cette réalité qui choque et exaspère les populations. La décision du Conseil des ministres du Niger est peut-être un premier pas pour améliorer les structures sanitaires dans le pays et ainsi renoncer à un tourisme sanitaire de luxe réservé à une élite, qui coûte cher à la collectivité. Alors que dans le même temps, l’écrasante majorité de la population est condamnée à se faire soigner dans des hôpitaux qualifiés de «mouroirs» qui manquent de tout, ou à se tourner vers des guérisseurs aux compétences médicales aléatoires.

Catherine Morand est journaliste pour SWISSAID (l’opinion exprimée ne reflète pas nécessairement celle de SWISSAID).

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lundi 8 janvier 2018

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