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Des objectifs inavouables

(Re)penser l'économie

En janvier dernier, la Grèce a connu un mouvement de grève important pour s’opposer à la limitation du droit de grève des salariés. Cette lutte fait suite aux mobilisations qui interviennent régulièrement depuis le début de la crise, en 2010, avec la mise en œuvre des mesures d’austérité décrétées par les gouvernements qui se sont succédé. Ce ne sont pas moins d’une cinquantaine de grèves générales qui ont été menées ces sept dernières années, démontrant ainsi la volonté de résistance des salariés de ce pays, qui sont soumis à des attaques constantes sous la pression de l’Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI). La remise en cause du droit de grève est une des conditions qui ont été posées par l’UE et le FMI pour débloquer une nouvelle tranche d’aide de 4,5 milliards d’euros.

Les fameux plans «d’aide à la Grèce», qui devraient plutôt s’appeler «plans de sauvetage du capital», peuvent se résumer en quelques chiffres significatifs. Après sept ans de ces mesures, la dette publique grecque a augmenté et représente 180% du PIB. Cela montre bien que le but n’était pas de soulager le pays du poids de sa dette, mais de permettre aux banques, principalement allemandes et françaises, de ne pas être mises en difficultés par les prêts qu’elles avaient accordés à la Grèce comme, par exemple, pour l’achat de matériel militaire à la France. Loin de relancer l’activité économique, ces plans ont conduit à une baisse du PIB de 25%! Les pensions de retraite ont été réduites de moitié, le salaire minimum a été amputé de 14%, la TVA a été augmentée, frappant plus fortement les petits et moyens revenus, le chômage touche 23% de la population active et les prestations publiques en matière de santé, d’éducation et d’aide sociale ont été réduites de manière importante. Enfin, selon la Banque de Grèce, ce sont plus de 420 000 Grecs qui ont dû prendre le chemin de l’exil pour retrouver un emploi et qui n’entrent évidemment pas dans les statistiques du chômage.. En résumé, le capitalisme néolibéral est parvenu à réduire significativement le coût du travail et le rôle de l’Etat en Grèce, sans même parvenir à relancer de manière significative l’activité économique.

Et, pourtant, cela ne suffit pas aux thuriféraires des «équilibres» financiers. En introduisant une limitation du droit de grève (le passage de 30 à 50% de la part des syndiqués votant une grève pour que celle-ci soit légale) montre bien que l’objectif des instance internationales consiste à désarmer les salariés pour les empêcher de résister. A contrario, cela démontre aussi que les luttes menées depuis sept ans constituent un frein aux visées du capital pour réduire encore davantage le coût du travail, qu’il soit direct par le salaire, ou indirect par les prestations de sécurité sociale. Il faut rappeler que la grève, l’arrêt de la production de biens et de services, constitue le moyen de défense essentiel des travailleurs en raison du rapport de subordination dans lequel ils se trouvent face aux employeurs. Exiger que 50% des syndiqués soient d’accord avec le lancement d’un mot d’ordre de grève, dans un contexte où les salariés sont soumis à des pressions considérables en raison du chômage, revient, de fait, à rendre l’exercice de ce droit fondamental illusoire.

La limitation du droit de grève exigée par les instances européennes pour accorder de nouveaux crédits à la Grèce est une démonstration évidente que les objectifs affichés de rétablissement des comptes publics ne sont que des prétextes. Le but essentiel est de réduire au silence les salariés grecs afin de permettre aux employeurs de bénéficier d’une main-d’œuvre corvéable à merci et favoriser ainsi la reconstitution de taux de profits malmenés depuis le début de la crise.
A l’heure où la situation en Grèce ne fait plus la une des médias, ce récent épisode est significatif de la politique économique néolibérale des instances européennes. Il faut se souvenir que c’est par la remise en cause du droit de grève que le gouvernement de Margaret Thatcher, au Royaume-Uni, a débuté la mise en œuvre de son projet néolibéral, et que Ronald Reagan a fait de même en cassant la grève des aiguilleurs du ciel.

* Membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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