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«Le Nicaragua reste un espoir de résistance»

Bernard Borel et Gérald Fioretta reviennent sur la récente interview de Bernard Duterme (Le Courrier du 20 février). Pour ces anciens brigadistes suisses, «le Nicaragua du président sandiniste Ortega reste un espoir pour l’Amérique latine en 2018».
Nicaragua

L’article intitulé «la Révolution trahie» – une interview de Bernard Duterme, auteur d’un récent livre 1>1B. Duterme, Toujours sandiniste, le Nicaragua?, CETRI, Bruxelles, 2017.sur le Nicaragua – présente une vision négative et réductrice du gouvernement de Daniel Ortega, qui ne correspond pas à la réalité que nous connaissons pour voyager régulièrement dans ce pays et qui ne tient pas compte des enjeux géostratégiques actuels du sous-continent latino-américain.

Certes, le Nicaragua d’aujourd’hui n’est pas celui des années 1980, et l’élan populaire de la croisade d’alphabétisation ou de la vigilance révolutionnaire et des milices populaires n’est plus de mise. Il est vrai que les sandinistes ont dû négocier leur retour au pouvoir dans un esprit de réconciliation nationale, ayant bien compris que leur base, qui ne s’effritait pas, ne réussissait pas à dépasser les 40% de voix électorales, après dix-sept ans d’opposition à trois gouvernements néolibéraux qui ont démantelé les systèmes de santé et d’éducation, privatisé la distribution de l’eau et de l’électricité (avec comme conséquence des coupures énergétiques épouvantables) et permis l’implantation des premières zones franches. C’est avec ce pourcentage de 40% que Daniel Ortega est revenu au pouvoir en 2006; depuis, il a gagné chaque élection avec plus de 55% – voire plus de 60% – des votants à ses côtés.

En douze ans, le système de santé nicaraguayen s’est reconstruit, l’enseignement est devenu gratuit et la désertion scolaire minime. La distribution de l’énergie est désormais constante – avec maintenant 80% d’énergie renouvelable (oui! plus que la Suisse!) et le réseau routier bien meilleur, ce qui permet notamment aux producteurs d’acheminer leurs produits dans les points de vente. Les cultures vivrières ont augmenté de manière notoire et des milliers de Nicaraguayens ont pu bénéficier d’améliorations au niveau de leur habitation, d’une légalisation de leurs terres, de soutien à des micro-entreprises familiales pour sortir de la pauvreté.
Certes, Daniel Ortega et son épouse Rosario Murillo concentrent beaucoup de pouvoir, mais de nombreux cadres historiques et nouveaux occupent des postes-clé avec un engagement total. Il est vrai qu’il y a eu aussi de nombreuses défections ces trente dernières années, dont celles bien connues de l’ancien vice-président Sergio Ramirez ou encore du poète et ancien ministre Ernesto Cardenal. Mais les dissidents, loin de représenter une alternative de gauche, se sont souvent alliés à la droite pour combattre le Front sandiniste aux différentes échéances électorales de ces dix dernières années, ou pour soutenir la chambre des représentants et le sénat étasuniens dans leurs actions de représailles économiques contre le pays («Nica Act»).

Le Nicaragua d’aujourd’hui n’est pas socialiste et n’a pas changé de modèle économique. Mais qui l’a fait en Amérique latine? On est loin des espoirs suscités à la fin des années 1950 par la révolution cubaine, puis dans les années 1980, lorsque l’on pouvait croire que l’Amérique latine réinventerait le lien social en y associant les communautés chrétiennes de base.

L’Amérique latine aujourd’hui va mal. Avec l’offensive d’une droite décomplexée qui n’a pas hésité à commettre un coup d’Etat parlementaire au Brésil et au Paraguay. Et qui a récemment empêché la validation de la victoire d’un social-démocrate au Honduras où, malgré des fraudes électorales constatées par les représentants de l’Organisation des Etats américains (peu suspects de soutenir des gouvernements de gauche!), c’est le président sortant qui a été déclaré vainqueur. Le bilan du mandat de Juan Orlando Hernandez était pourtant désastreux, marqué par une nette régression sociale.

Le Nicaragua, malgré toutes ses imperfections, reste, aux côtés du Salvador – où les élections de ce mois de mars vont être cruciales –, de la Bolivie, du Venezuela et peut-être encore de l’Equateur, un espoir de résistance à la vague dévastatrice néolibérale actuelle qui fait tant souffrir les populations de ce sous-continent.
Dommage que le Courrier n’ait pas ouvert ses colonnes à d’autres points de vue, notamment celui d’Orlando Nuñez, analyste politique nicaraguayen de renom et intellectuel sandiniste engagé auprès du gouvernement, cité pourtant longuement dans le livre de Duterme.

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