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Au cœur de la forteresse

Le nombre de nouvelles demandes d’asile a encore diminué en Suisse en 2017. Cependant, les politiques à l’œuvre derrière cette baisse «n’ont rien de reluisant ni de rassurant», analyse Aldo Brina, du Centre social protestant.
Migrants

En 2017, le nombre de nouvelles demandes d’asile en Suisse a baissé de plus de 30% pour la deuxième année consécutive, pour s’établir à 18 088 demandes, la valeur la plus basse enregistrée depuis 2010. La baisse du nombre de nouvelles demandes d’asile offre une détente: le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) rattrape son retard dans le traitement des dossiers (sans même se restructurer!); les foyers se désengorgent; le traitement médiatique ralentit; on écoute d’une oreille presque attendrie les vociférations de l’UDC comme l’écho d’un orage qui s’éloigne…

Mais au fait, qu’est-ce qui explique cette tendance basse? La guerre en Syrie est-elle terminée? Non. Le régime érythréen a-t-il décidé de traiter correctement ses citoyens? Non plus. La situation s’est-elle stabilisée en Afghanistan? Pas franchement… Cette diminution n’est hélas que la résultante d’une obstruction opiniâtre et concertée des voies d’accès à notre continent et à notre pays. Le SEM l’explique en effet par la fermeture de la «route des Balkans», la fermeture de la voie de la Méditerranée centrale, et celle de nos propres frontières. Décortiquons.

L’entrée sud-est de l’Europe est toujours bloquée par un accord passé entre l’Union européenne et le dictateur turc Erdogan. Le changement est spectaculaire par rapport aux arrivées de 2015. C’est ce qu’on appelle l’externalisation des politiques migratoires: la Suisse compte sur les pays européens, qui comptent eux-mêmes sur des pays extérieurs à l’Union européenne, pour imperméabiliser les frontières. L’accès par la Méditerranée centrale a aussi été colmaté – temporairement du moins – par le biais, notamment, de marchandages entre le gouvernement italien et des milices libyennes. Le SEM l’écrit lui-même: cette politique repose sur «des groupes [milices] dont les objectifs et le loyalisme ne sont pas tout à fait clairs». Comprendre: les pays européens donnent de l’argent à certaines milices sans savoir exactement ce qu’ils alimentent. Dans le contexte libyen, où il est question de luttes armées, d’islamisme et d’esclavage humain, la pratique hasardeuse qui consiste à financer certaines milices en attendant quelque besogne en retour est inacceptable.

Mais la baisse des nouvelles demandes d’asile comporte aussi un volet helvético-helvétique: l’application inhumaine de l’accord de Dublin, qui aboutit à de nombreux transferts hors de Suisse et – on l’oublie trop souvent – à de nombreuses entrées en clandestinité de demandeurs d’asile, qui préfèrent prendre la poudre d’escampette plutôt que subir un transfert. Malgré les 33 000 signatures de l’Appel contre l’application aveugle du règlement Dublin, déposé en novembre dernier, «Pour une Suisse qui protège les droits des enfants et des personnes vulnérables», la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga n’a pas daigné assouplir d’un iota la pratique de son administration. Il n’y aurait pourtant pas de meilleur moment pour le faire: la Suisse a traité, en 2017, 2,5% des demandes d’asile déposées en Europe – ce taux est le deuxième le plus bas depuis la chute du mur de Berlin! Nous pourrions éviter un renvoi aux personnes les plus vulnérables, quand celui-ci est synonyme de retour vers le néant.

Les politiques à l’œuvre derrière la baisse du nombre de nouvelles demandes d’asile n’ont donc rien de reluisant ni de rassurant. Si ce phénomène apporte quelque répit, il est aussi le fruit de mesures qui renforcent des régimes autoritaires, entretiennent des milices armées et, surtout, plongent dans l’insécurité des dizaines de milliers d’exilé-e-s. C’est ce qu’il faut garder à l’esprit: derrière chaque unité de la statistique précitée, il y a un destin unique, une histoire souvent tragique que nous n’aimerions pas nous-mêmes traverser.

Aldo Brina est chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant, CSP – Genève.

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